En ouvrant la portière du véhicule, un fumet d’ail nous chatouille les narines. Nul doute : nous sommes bien à destination. Ces parfums, qui rappellent les trattorias de Toscane, émanent des locaux d’Une touche d’ail, où des tonnes de bulbes sont entreposés, nettoyés, mis à sécher et emballés, quand ils ne finissent pas transformés en goûteux produits gagnants de plusieurs prix.

Sur la rive du lac Saint-François, près de la frontière américaine, la villégiature et l’agriculture se côtoient. C’est ce dernier volet qui nous intéresse tandis que nous roulons vers Saint-Anicet, motivée à découvrir le processus par lequel on arrive désormais à produire de l’ail du Québec toute l’année.

Nous reviendrons bredouille : le secret est aussi bien gardé que celui de la Caramilk. Nous découvrirons en revanche un intérêt insoupçonné pour ce bulbe de chez nous, dont les parfums supplantent haut la main ceux d’ailleurs.

Ils ont la vingtaine à peine franchie. Nicolas Taillefer et Karine Fournier mènent toutefois leur entreprise – devenue la plus grande productrice d’ail au Québec en superficie – à toute vapeur et d’une poigne vigoureuse. Une touche d’ail en est à sa septième année d’existence, mais elle s’invite déjà dans la cour des grands. Elle concurrencera cette année les produits de Chine et d’Espagne sur les tablettes des supermarchés IGA avec un objectif en ligne de mire : y assurer sa présence 12 mois par année.

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Nicolas Taillefer et Karine Fournier, propriétaires d’Une touche d’ail

On veut contribuer à l’autonomie alimentaire au Québec avec un ail local disponible à l’année.

Karine Fournier, copropriétaire d’Une touche d’ail

Une idée fertile

À 15 ans, Nicolas Taillefer plantait ses premières gousses d’ail sous l’œil amusé de son grand-père. Ces 1000 caïeux, introduits sur les terres du patriarche, ont permis d’obtenir une récolte fructueuse. La curiosité a cédé sa place à la fierté : « En voyant passer un camion d’épicerie, il m’avait dit : ‟Un jour, c’est moi qui vais le remplir !” Je n’ai jamais douté un instant qu’il allait réussir. Il a toujours été vaillant et puis… c’est mon petit-fils ! », lance Yves Saucier, le regard pétillant.

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Une touche d’ail est le plus gros producteur d’ail du Québec en superficie avec 85 acres qui y sont consacrés.

À l’âge où d’autres sont investis de la mission de séduire leur voisin de classe, le jeune homme avait déjà réglé la question et passait à l’étape suivante : démarrer sa petite entreprise. Sa douce, Karine Fournier, tombée amoureuse d’un passionné d’ail au programme sport-études, s’est impliquée dans l’entreprise dès les débuts et est maintenant copropriétaire. « J’avais la fibre entrepreneuriale. À 10 ans, je me cherchais déjà un projet d’agriculture, raconte le principal intéressé avec modestie. J’ai un jardin depuis que je suis tout jeune. Ça me fascine ! »

« Mais pourquoi l’ail ? », se demandait le grand-père. Bonne question, monsieur Saucier. « Parce qu’on trouvait essentiellement de l’ail importé sur les tablettes, répond le petit-fils. Je me suis demandé pourquoi on n’arrivait pas à offrir de l’ail de chez nous en hiver, alors que l’ail d’ailleurs se conserve. On a voyagé, on est allés voir ce qui se passait en Europe et on a fait des tests. » Les résultats sont concluants.

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Les installations d’Une touche d’ail peuvent accueillir 200 tonnes d’ail par année.

Une qualité qui vient de chez nous

Cette année, l’ail est particulièrement dodu, nous annoncent les propriétaires en nous invitant à extraire un bulbe de terre. Ça ne se refuse pas. Déraciné après avoir offert une résistance honorable, le spécimen est en effet de gros calibre. « Une bonne prise », se félicite-t-on, avant de constater que notre échantillon se fond dans la masse. « On est à une heure à peine des entrepôts des épiceries. Notre ail est plus gros, plus frais, plus goûteux et juteux que les produits importés. »

Dès que la récolte manuelle de la fleur d’ail se termine, à la mi-juillet, les troupes enchaînent avec la collecte de l’ail : un travail intensif qui se fait jour et nuit, s’il le faut, pour extraire l’ail au comble de sa saveur. À la mi-août, les installations sont remplies de ce butin qui sera traité jusqu’à l’été prochain. Il sera lavé, séché, entreposé et emballé. Les bulbes qui ne correspondent pas aux standards de l’industrie seront transformés en purée, en sauce ou en pesto, ce qui permet de réduire le gaspillage alimentaire, fait valoir Karine, qui supervise cette production.

  • Une touche d’ail a remporté plusieurs prix, dont celui du Gala des Grands Prix Dux pour la qualité et le goût de ses produits.

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    Une touche d’ail a remporté plusieurs prix, dont celui du Gala des Grands Prix Dux pour la qualité et le goût de ses produits.

  • Les chambres de séchage

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    Les chambres de séchage

  • « Les gens ne savent pas encore comment apprêter la fleur d’ail, mais l’intérêt est là », observe Karine Fournier. Ce produit devrait d’ailleurs être vu sur les étals des épiceries l’été prochain. « Comme légume d’accompagnement, c’est super bon. On met ça sur le barbecue en papillote avec de l’huile, du sel et du poivre, ou alors on l’intègre à un sauté. »

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    « Les gens ne savent pas encore comment apprêter la fleur d’ail, mais l’intérêt est là », observe Karine Fournier. Ce produit devrait d’ailleurs être vu sur les étals des épiceries l’été prochain. « Comme légume d’accompagnement, c’est super bon. On met ça sur le barbecue en papillote avec de l’huile, du sel et du poivre, ou alors on l’intègre à un sauté. »

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Dans les chambres de conservation, le taux d’humidité, la température, le débit d’air et la pression statique sont contrôlés. Ces facteurs, comprend-on dans les grandes lignes, permettent de conserver l’ail comme si on l’avait cryogénisé. Toujours est-il que ça fonctionne. L’ail demeure d’une fermeté et d’une fraîcheur étonnantes et conserve ainsi ses parfums.

En 2020, quatre ans après ses débuts, l’entreprise signait un contrat avec IGA. Deux ans plus tard, ses produits étaient distribués à la grandeur du Québec en saison. Pour en fournir durant toute l’année, l’équipe d’Une touche d’ail a triplé sa production d’année en année et sollicite maintenant 85 acres de terre sans pesticides, consacrés au roi des bulbes. « C’est beaucoup d’investissement, mais on a foncé et misé le tout pour le tout sans avoir peur », estime Nicolas Taillefer. Et c’est ainsi qu’un projet d’adolescent est devenu une histoire de succès. Qu’on se le tienne pour dit : « On n’arrêtera pas tant qu’il n’y aura pas de l’ail québécois dans toutes les épiceries ! »

Consultez le site d’Une touche d’ail

Le saviez-vous ?

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On conserve l’ail sur le comptoir et jamais au frigo

On conserve l’ail sur le comptoir et jamais au frigo, où il perd de son parfum et de sa longévité. Un bulbe devrait être ferme à l’achat. Un emballage de papier, comme celui dans lequel Une touche d’ail présente ses produits, est suffisant pour conserver l’ail trois mois à température ambiante.