Les carottés font leur septième saison cet été. Et pour la première fois, Eloïse Racine, Francis Côté-Fortin et Laurence Harnois, tous trois jeunes trentenaires, ont l’impression d’avoir atteint leur vitesse de croisière. « On est rendus à profiter de notre spot ! », lance Laurence, attablée avec ses deux partenaires, qui sont en couple depuis la première heure, à l’orée de parcelles débordantes d’oignons, de carottes, de courges, d’aneth et d’autres délices.
Le « spot » en question est une étroite terre de 4 hectares, dont le quart est boisé, où le trio fait pousser avec l’aide de 4 employés une cinquantaine de légumes bios différents pour ses 270 abonnés (dont une bonne partie à Montréal), le marché à la ferme du jeudi ainsi que celui de Frelighsburg le samedi, et quelques restaurants, du coin surtout. On y trouve aussi un bâtiment de ferme en pruche, un étang d’irrigation et quatre serres remplies de plants géants de tomates, de concombres, d’aubergines et de poivrons, entre autres. Une abondance qui fait saliver.
La complicité entre les trois amis, qui sont tous passés par le programme de production maraîchère biologique du cégep de Victoriaville, saute aux yeux quand ils racontent leur parcours. Ils se relancent, complètent les réponses des uns et des autres. Et rient souvent. Le chemin qui les a menés jusqu’à ce bonheur manifeste, et de bons salaires pour tout le monde, a pourtant été long. Et semé d’embûches.
Trouver une terre
Devenir propriétaire de leur terre figure parmi les plus grands défis auxquels ont été confrontés Les carottés. Locataires chez un pomiculteur de Dunham pendant trois saisons, ils ont même un temps cessé d’y croire.
« Les fermes comme les nôtres sont exposées à la gentrification rurale », souligne Eloïse. Les citadins qui achètent une maison de campagne pour louer leurs champs font grimper les prix et privent les agriculteurs à la fois de terres à cultiver et de logements, précise-t-elle. « Sur le rang ici, il y a huit maisons secondaires presque tout le temps vides, et nos employés ont du mal à se loger. »
Par chance, la famille d’Eloïse, qui exploite une ferme laitière depuis six générations à Brigham, a bien voulu vendre un lopin aux Carottés. Mais encore a-t-il fallu convaincre la Commission de protection du territoire agricole d’accepter le morcellement de la terre. Francis s’est chargé du dossier. Avec brio. « Assurances, permis de construction, financement : quand on est devenus propriétaires, toutes les barrières pour le développement de l’entreprise ont été levées », précise-t-il.
Les carottés ne doivent quand même pas leur succès au simple fait de s’être enracinés sur leur terre à eux. Leur acharnement y est aussi pour beaucoup, de la formation collégiale qui touche à la culture comme à la gestion en passant par les stages et les années sur une terre en location qui leur ont permis de faire des tests et de s’améliorer, à coup d’heures jamais comptées pour planter, désherber, récolter, vendre, etc. « Travailler avec la nature, ça ne s’apprend pas rapidement, c’est le travail de toute une vie », dit Eloïse, qui se souvient d’avoir été au champ même enceinte jusqu’aux yeux. La petite Annette a aujourd’hui 3 ans et demi.
Des idées à revendre
« On a aussi eu la chance d’avoir des compétences complémentaires qui nous ont permis de progresser », ajoute Laurence, qui s’occupe notamment de la commercialisation et des réseaux sociaux. Francis, lui, est le maître des infrastructures. Et Eloïse règne sur la pépinière et les champs. « Et comme on est trois, précise Laurence, quand quelqu’un a une moins bonne idée… on est deux pour le ramener à l’ordre ! »
Des idées, Les carottés n’en ont d’ailleurs jamais manqué pour faire croître leur entreprise.
Les paniers suscitent moins d’enthousiasme ? « On a proposé des cartes prépayées qui fonctionnent comme une carte-cadeau de Canadian Tire, pour laisser les abonnés choisir leurs légumes selon leurs envies », se souvient Eloïse.
Les clients redemandent des tomates, des poivrons et des aubergines ? « On a mis de l’argent dans les serres pour avoir plus de légumes de chaleur tôt en saison et créer de la satisfaction », évoque Francis.
De nouveaux légumes deviennent populaires ? « On surprend les clients avec des primeurs et des nouveautés comme le gingembre ou les champignons shiitakes qui s’en viennent », observe Laurence.
Au marché comme à l’église
Au fil des ans, des liens se sont tissés avec la clientèle. « Les gens nous accueillent dans leur vie », se réjouit Eloïse, pour qui les jours de marché à la ferme rappellent les réunions sur le parvis de l’église des dimanches d’autrefois. Un module de jeux ravit d’ailleurs les familles qui font leur marché avec leurs enfants. Cet été, la fille d’abonnés de la première heure, qui avait une douzaine d’années aux débuts des Carottés, travaille même sur la terre.
Pour la suite, le trio espère d’ailleurs multiplier les occasions de rencontres avec les amateurs de légumes grâce à des évènements à la ferme. Mais pour l’instant, Les carottés prennent le temps de souffler un peu. Et de contempler, aussi, leur réussite, dans laquelle ils ont tant investi. « Si on me disait que je devais tout recommencer maintenant, conclut Eloïse, je ne le ferais pas. Ça prend énormément de volonté et une énergie folle pour construire une ferme. Je n’ai plus 20 ans ! »
Consultez le site des Carottés