Avez-vous remarqué de petits savons colorés entre les filets mignons et les rôtis de palette à la boucherie du coin? Des bouchers se lancent en effet dans la confection de nettoyants pour le corps avec leurs surplus de gras de boeuf ou de porc.

À la boucherie Ça va barder, Charles Lefebvre reçoit des carcasses entières. Pour réduire le gaspillage au maximum, il essaie d'utiliser toutes les parties de l'animal. Avec les os, il mijote bien sûr des bouillons et avec le gras, il cuisine des rillettes, des pâtés et des cretons. Mais quand il lui reste encore de la graisse animale, il conçoit des savons.

Dans les recettes qu'il prépare, le charcutier privilégie toujours des ingrédients venant de producteurs locaux qui partagent ses valeurs. Il va de soi qu'il fait la même chose avec les savons à la menthe ou au romarin qu'il fabrique.

«Je connais la provenance de la viande que je sers à mes clients. Le gras dans les savons vient des mêmes animaux. Ils viennent du Québec et ils sont tous élevés sans hormone et sans antibiotique.»

Avec le gras de rognon ou de dos, Pascal Hudon, de la boucherie Pascal le boucher, dans Villeray, prépare lui aussi des gâteaux pour les oiseaux et des savons (pour les humains)!

Le nettoyant le plus populaire demeure celui sans fragrance, même si le boucher se sert parfois d'huiles essentielles locales comme celles au sapin ou au miel. Il parfume aussi un savon au cacao avec le grué de cacao d'Avanaa, une chocolaterie du même quartier.

Au départ, Pascal s'est lancé dans la confection de savon un peu pour s'amuser et pour faire comprendre à ses clients comment on fabrique un pain nettoyant.

«Mais on s'est fait prendre au jeu. La vente de savon demeure hyper marginale, mais on voit que les gens tripent. Ils achètent souvent le produit par curiosité et ils nous reviennent en disant qu'ils voient une différence sur leurs mains, sur leur peau.»

Compte tenu de la réaction de sa clientèle, Pascal n'a plus le choix. Il doit toujours tenir des savons non loin de la viande de volaille, de boeuf et de porc.

Un savon, trois ingrédients

Depuis un an, David Aghapekian, de la boucherie Dans la côte, n'achète plus du tout de savon pour se laver. Il utilise ceux qu'il fabrique avec les excédents de gras de boeuf ou de porc de son commerce. La composition des savons dits «commerciaux» le laisse d'ailleurs perplexe.

«Pourquoi les savons contiennent une trentaine d'ingrédients alors qu'on peut en fabriquer avec seulement trois?»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Charles Lefebvre, de la boucherie Ça va barder, tente de ne rien gaspiller des animaux qu'il dépèce. Quand il lui reste de la graisse animale après avoir préparé ses charcuteries, il conçoit des savons.

Même si ce n'est pas écrit clairement sur les emballages de savon, ceux-ci sont conçus avec du gras parfois végétal, souvent animal, dit David.

«La plupart des savons commerciaux, bien sûr, ils ne sont pas véganes. Les grandes marques sont malignes. Elles n'écrivent pas "gras de boeuf" sur leur emballage, mais plutôt "tallowate de sodium", qui est la molécule de gras de boeuf chimiquement transformé.»

David ne se considère pas du tout comme un savonnier. Il n'a rien inventé, dit-il. Il s'inspire simplement d'une recette de nos grands-mères, qui avaient l'habitude de récupérer tout ce qu'elles pouvaient. Pour ce faire, il mélange un acide avec le gras et il ajoute un peu d'huile de coco pour un effet moussant.

Depuis qu'il propose ses savonnettes, des clients se présentent la boucherie non pas pour acheter de la viande, mais pour s'approvisionner en savon ou même en gras. Ils veulent à leur tour essayer de produire des savons artisanaux à la maison.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

David Aghapekian, de la boucherie Dans la côte, utilise exclusivement les savons qu'il fabrique pour se laver.