Un chercheur universitaire soutient que des dizaines d'études sur l'impact environnemental de l'exploitation des sables bitumineux en Alberta sont entachées de données scientifiques incohérentes, qui ont rarement fait l'objet de vérifications indépendantes.

Adam Ford, professeur de biologie à l'Université de la Colombie-Britannique, a publié ses conclusions dans le journal scientifique Environmental Reviews. Selon lui, il faut vraiment faire exprès pour publier d'aussi mauvaises études d'impact, ce qui reflète selon lui l'état actuel de l'industrie des sables bitumineux.

Des 30 évaluations différentes publiées entre 2004 et 2017, le professeur Ford a constaté que chacune prenait en compte différents facteurs, à sa façon. Peu d'entre elles auraient indépendamment vérifié ses conclusions - et celles qui l'ont fait étaient nettement plus pessimistes quant à la capacité de l'industrie à restaurer les écosystèmes perturbés.

Selon le professeur Ford, cette approche incohérente signifie que les dizaines de milliers de pages qui s'empilent dans les bureaux de la Régie de l'énergie de l'Alberta ne révèlent pas grand-chose sur la santé globale de l'un des sites les plus industrialisés du Canada.

Les entreprises qui veulent exploiter les sables bitumineux en Alberta doivent d'abord soumettre une étude d'impact sur l'environnement. Ces évaluations se penchent généralement sur des espèces représentatives de l'écosystème : elles examinent, en se basant sur l'opinion d'experts, comment le développement industriel affectera différents aspects de leur habitat.

Le biologiste Ford a découvert que 35 espèces différentes avaient été étudiées ; un seul - l'orignal - est apparu dans les 30 études d'impact, et seulement 10 sont apparus dans plus de la moitié d'entre elles. Certaines évaluations ont porté sur des groupes d'espèces, d'autres pas. Certaines n'ont pas non plus la même définition de l'habitat faunique.

« On pourrait penser que les projets aussi proches les uns des autres, de nature similaire, auraient un ensemble d'espèces communes plus comparables », estime le professeur Ford.

Des enjeux élevés

Par ailleurs, les méthodes utilisées pour évaluer l'impact industriel étaient toutes différentes. Quelque 316 modèles mathématiques différents ont été utilisés pour mesurer l'habitat : sans grande surprise, ils ont donné des résultats différents les uns des autres dans 82 % des cas. Seuls 33 des modèles ont été vérifiés indépendamment à l'aide de données de terrain ou de méthodes statistiques distinctes. Or, M. Ford a constaté que les évaluations qui utilisaient aussi la vérification indépendante étaient environ deux fois plus susceptibles de prédire des impacts environnementaux persistants graves.

Devant tant de variations et si peu de vérifications, il est impossible de déterminer quelles évaluations sont les plus précises, conclut le professeur Ford.

Les territoires perturbés par les 30 projets étudiés couvraient près de 900 kilomètres carrés, et environ la moitié de ce territoire était considérée comme des zones d'habitat faunique « de haute qualité ».

L'étude du professeur Ford indique également que sur les 1681 demandes d'exploitation de sables bitumineux déposées depuis décembre 2013 auprès de la régie albertaine, 91 % ont été approuvées et 1 % ont été rejetées. « Il n'est pas clair si les conclusions d'impacts négatifs sur la faune (dans une évaluation) ont une incidence sur l'approbation finale du projet », conclut-il.

La Régie de l'énergie de l'Alberta a refusé de commenter le document.

M. Ford estime que des évaluations standardisées seraient plus rapides, moins coûteuses et plus susceptibles de donner une image claire de ce qui se passe réellement dans le nord de l'Alberta.

« Quelles sont les espèces que nous devons connaître ? Nous avons au Canada des experts qui passent leur vie à penser à ces espèces. Impliquons-les afin de pouvoir créer de solides modèles d'habitat, de sorte que nous n'ayons pas à revoir l'opinion de tout un chacun. »

M. Ford rappelle que l'approche actuelle a des conséquences réelles pour les citoyens. « Il y a des gens qui vivent sur ces territoires et dont la culture et le mode d'existence sont liés à ces animaux. Et on leur dit finalement que (les conclusions de ces études d'impact) sont en grande partie du n'importe quoi. »