Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au coeur de l'actualité et lui pose 10 questions. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Steven Guilbeault, cofondateur et coordonnateur général adjoint d'Équiterre.

La loi C-38 adoptée cette semaine comporte plusieurs dispositions concernant l'environnement qui sont perçues comme un recul. Pourquoi?

Les révisions contenues dans la loi C-38 émasculent entre autres les lois et règlements concernant l'évaluation environnementale et la protection des espèces animales et végétales. En ce qui concerne l'évaluation de grands projets, on ne fera plus appel à des critères objectifs mais bien au pouvoir discrétionnaire du ministre. Sous prétexte que les processus existants étaient longs et qu'ils faisaient appel à trop d'intervenants, on a sorti la scie mécanique plutôt que le scalpel pour les améliorer. Résultat: ce sont des décennies de règlement sur la santé et la protection de l'environnement qui vont disparaître.

Une autre disposition de cette loi menace le financement des groupes de pression. De quelle manière cela affectera-t-il un groupe comme Équiterre?

Cette disposition est une attaque en règle contre tous les groupes qui ne partagent pas l'idéologie conservatrice, qu'ils soient écologistes, pacifistes ou féministes. Au sens de la loi fédérale, une partie des actions d'Équiterre sont considérées comme des activités dites de charité. Il s'agit d'activités à vocation éducationnelle ou de sensibilisation. Ce n'est pas dans la tradition des groupes écologistes canadiens de faire de la politique partisane. Or on comprend qu'avec cette loi, la définition de ce qu'est une activité politique sera élargie à toute opinion différente de la position gouvernementale. Une partie de notre financement pourrait donc être menacée.

Cette semaine, on a appris que le Canada n'atteindrait pas ses objectifs en matière de réduction des GES. Est-ce vraiment surprenant?

Le Canada n'atteindra pas ses objectifs parce qu'on n'essaie pas. À part un règlement sur la consommation d'essence des véhicules qu'on a adopté parce que l'administration Obama l'avait fait, il n'y a aucun règlement sur les usines au charbon ni sur les sables bitumineux ni sur la production d'électricité. Et le Canada n'a aucune stratégie nationale sur les transports en commun alors que de mémoire, tous les pays de l'OCDE en ont une. Dans ce contexte, non, ce n'est pas très surprenant.

On dit que le Canada n'a plus de crédibilité sur la scène internationale. Est-ce que vous le ressentez dans les coulisses des rencontres sur l'environnement?

Ah oui! Quand les conservateurs ont pris le pouvoir, au début, il fallait travailler fort pour trouver des gens qui critiqueraient publiquement la position du Canada. En relations internationales, on critiques rarement quelqu'un publiquement. Or en décembre dernier, à Durban, les gens des délégations des autres pays - l'Inde, des pays africains et même certains pays d'Europe - m'appelaient pour critiquer l'attitude du Canada. Les gens en ont jusque-là du Canada.

Vous participerez au Sommet de la Terre de Rio la semaine prochaine. Qu'attendez-vous concrètement de cette rencontre?

À Équiterre, nous continuons de croire que le vieil adage «penser globalement, agir localement» est encore pertinent. On ne met pas tous nos oeufs dans le panier des Nations unies mais on trouve important de travailler avec nos collègues des autres pays. Je suis coprésident du réseau Action Climat International qui regroupe 750 organismes non gouvernementaux sur la planète. Dans bien des pays, les ONG font partie des délégations et travaillent avec elles, ce qui est loin d'être le cas au Canada sous le gouvernement Harper. Quand je croise les gens de la délégation canadienne dans ces conférences [pas les fonctionnaires, mais ceux qui représentent le gouvernement], ils changent de côté de corridor et font semblant de ne pas me voir.

Dans ce cas pourquoi le Canada y va-t-il?

Il y va pour réduire la portée des engagements pris dans ces rencontres. Le journaliste de Postmedia Mike de Sousa a rendu publics des documents qui montrent que la stratégie internationale du Canada sur les changements climatiques a été approuvée par l'Association canadienne des produits pétroliers. Il est important pour nous d'être présents dans ces conférences pour créer un contrepoids.

Le Québec vient de présenter son plan d'action environnemental pour lequel vous avez été consulté. Que pensez-vous de ce plan?

Clairement, je pense que le gouvernement du Québec voulait avoir un plan d'action 2020 avant d'aller à Rio. Je comprends, mais on aurait aimé qu'il attende un peu parce qu'il manque encore des éléments. Je continue de penser que ce gouvernement a une volonté très claire d'agir, mais il reste une ombre au tableau: le secteur des transports. L'enjeu, c'est la cohérence interne au ministère des Transports qui reçoit des sommes importantes du Fonds vert pour les transports en commun mais qui de l'autre main, développe des projets d'expansion et d'élargissement d'autoroutes qui vont générer encore plus de GES. On aurait souhaité des objectifs de réduction de GES comme c'est le cas pour le secteur industriel. C'est le nerf de la guerre.

Où vous situez-vous par rapport au Plan Nord?

Équiterre ne travaille pas sur le dossier de mines et des aires protégées mais sous l'angle des changements climatiques, il ne m'inquiète pas trop, car la bourse de carbone permettra de compenser les GES générés par les activités minières. On peut quand même se poser la question à savoir -et c'est mon point de vue, pas celui d'Équiterre- si c'est la meilleure stratégie de développement pour le Québec. On n'a jamais été très bons pour tirer des bénéfices économiques de nos ressources minières. On est pas mal république de bananes.

Dans votre milieu, certains estiment que vous êtes trop proches du gouvernement. Que leur répondez-vous?

On a une assez bonne relation avec le gouvernement du Québec qui a commencé sous le Parti québécois, à l'époque de Paul Bégin. Notre rôle, c'est de travailler avec tost ceux qui sont prêts à faire avancer les choses, alors on travaille avec le gouvernement et avec les partis de l'opposition. On a rencontré Francois Legault, Mme Marois, et on travaille aussi avec les partis de l'opposition au fédéral. Le fait de travailler avec le gouvernement ne nous empêche pas de le critiquer quand on en sent le besoin: Équiterre a poursuivi le gouvernement du Québec dans le dossier de l'autoroute 25 et on s'est joints au mouvement de contestation de la loi 78.

Croyez-vous que les gens se soient lassés d'entendre parler d'environnement?

On en parle moins qu'entre 2006 et 2008, quand c'était l'enjeu numéro 1 au pays, et c'est inévitable. Il y a d'autres enjeux dans la société. Cela dit, l'environnement reste quand même au quatrième ou cinquième rang des préoccupations de la population.

Question Twitter par Vicki Fragasso @Vickilalune: Pensez-vous à vous engager dans la politique active un jour?

Plusieurs partis me l'ont offert, à tous les niveaux de gouvernement, mais j'ai quatre enfants dont deux de 3 et 5 ans et je ne suis pas prêt à ne plus les voir. J'ai le privilège d'avoir le contrôle sur mon horaire et de jouir d'une liberté de parole. Cela dit, je ne ferme pas la porte, la politique m'intéresse, mais pas tant que mes enfants sont jeunes.