Acheter, c'est voter, dit-on. Il s'agit d'un pouvoir fantastique pour forcer les entreprises à une production plus écologique, tout en posant une action positive. Mais il y a moyen de pousser la logique plus loin. Bienvenue dans l'univers du boycott inversé, celui de l'effet de la carotte.

Il y a deux façons de faire avancer un âne : le bâton ou la carotte. Brent Schulkin, un activiste de San Franciso, s'est inspiré de l'incitatif pour créer le mouvement Carrotmob, le printemps dernier. Il a contacté 23 épiceries de la ville pour leur demander quel pourcentage de leurs revenus, une journée donnée, elles seraient prêtes à consacrer pour améliorer l'empreinte écologique de leur commerce.

L'épicerie qui a emporté la mise a accepté de consacrer 22 % des recettes - qui se sont élevées à environ 10 000 $. Les achats de la centaine de membres ont ainsi servi à améliorer l'efficacité énergétique de l'éclairage du commerce. L'épicier a suivi les recommandations d'un expert (membre de Carrotmob).

Depuis un an, le mouvement, somme toute modeste, a fait tache d'huile dans une dizaine de villes américaines de même qu'en France, en Allemagne et en Finlande. Il s'agit d'un concept vieux comme le monde, celui de l'action citoyenne, mais adapté aux villes du XXIe siècle.

Les gens adorent se reconnaître dans une cause ou simplement participer à une action qui les rassemble, qui leur donne l'impression de faire le bien. L'effet de la carotte est parfait pour ceux qui n'ont pas le temps, l'argent ou la volonté de s'impliquer à fond. Il devient alors un formidable effet de levier communautaire par opposition à un boycottage, une action drastique, improductive et, en général, condamnée à l'échec, pour toutes sortes de raisons. Bref, il est beaucoup plus gratifiant de poser un geste positif.

Évidemment, la chose a ses limites dans un marché comme la grande région de Québec. Le bassin des détaillants en produits électroniques, par exemple, est restreint. Et les recettes dans certains commerces de proximité risquent d'être à l'avenant le jour d'une action. Autrement dit, pas assez importantes pour ensuite poser une action écologique conséquente.

Remarquez, il suffirait de créer un réseau national, disons la Kebcarotte, pour les 10 plus grandes villes du Québec et ses alentours. Comme on y retrouve à peu de choses près les mêmes chaînes, il serait facile de coordonner une action. Vous n'avez qu'à insérer ici le fantasme de votre choix : des contenants à compost dans les succursales de restauration rapide; l'élimination du suremballage pour les produits maraîchers; le remplacement du styromousse par des verres entièrement recyclables, etc.

Peu importe. C'est la beauté du geste qui compte et ses effets positifs, notamment sur l'image de l'écologie. Celle-ci a beaucoup changé, mais elle est encore trop souvent associée, à tort ou à raison, à des militants qui grimpent aux arbres - au propre comme au figuré. Les excès de langage et le radicalisme de certaines actions détournent des gens qui sont pourtant bien disposés à adopter des comportements plus durables.

Comme le soulignait un reportage du magazine Time, Carrotmob est parfaitement adapté à des temps économiques plus difficiles. Vous n'avez pas à faire un don, mais simplement à acheter quelque chose dont vous avez besoin, dans un lieu donné à un moment déterminé. En échange, vous contribuez à rendre un commerce plus écologique.

C'est une proposition gagnante-gagnante pour le commerçant qui remporte les enchères. Ses ventes vont bondir, de nouveaux clients vont se pointer et sa réputation va augmenter d'une coche.

L'effet de la carotte est presque trop beau pour être vrai car il risque fort de semer une graine dans la tête de beaucoup de gens d'affaires : il y a avantage à adopter des pratiques plus écologiques. «Nous avons fait beaucoup d'argent en nous mettant au vert», disait Jeffrey Immelt, la semaine dernière, lors de son passage à Montréal. M. Immelt est le pdg de la multinationale General Electric.

Que dire de plus? Sur le Web : http//carottmob.org