La quasi-totalité de l'amiante produite au Canada est envoyée dans les pays en développement, où elle est principalement transformée en amiante-ciment. Or des experts de l'OMS recommandent de mettre fin à l'utilisation de ce matériau de construction cancérogène, qui menace la vie de dizaines de milliers de travailleurs.

Au moment où le premier ministre Jean Charest pilote une mission commerciale en Inde, l'un des principaux importateurs d'amiante québécoise, de nombreuses voix s'élèvent, ici comme ailleurs, pour exiger que le Québec mette fin à l'exportation de ce produit toxique. Interdite dans une quarantaine de pays, dont tous les États membres de l'Union européenne, l'amiante chrysotile est aujourd'hui utilisée à près de 90 % dans des matériaux comme l'amiante-ciment, dont les plus grands utilisateurs sont les pays en développement, selon le Dr Ivan Ivanov, de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

«Sachant qu'il n'y a aucune preuve de l'existence d'un seuil pour l'effet cancérogène de l'amiante et que l'on a observé des risques de cancer accrus dans les populations très faiblement exposées, la façon la plus efficace d'éliminer les maladies liées à l'amiante consiste à mettre fin à l'utilisation de tous les types d'amiante», écrit cet expert de l'Organisation dans un rapport daté de septembre 2006.

Pour Fernand Turcotte, professeur émérite de médecine à l'Université Laval, il va sans dire que les conclusions de l'OMS s'appliquent de manière encore plus marquée aux pays en développement, où il a été démontré à plusieurs reprises que l'amiante n'est pas toujours utilisée de façon sécuritaire.

En plus de ne pas posséder le matériel de protection nécessaire (respirateurs spéciaux, lunettes de sécurité, gants et vêtements protecteurs), les travailleurs de ces pays n'auraient pas droit aux normes minimales prescrites par les scientifiques : amiante enrobée dans des emballages étanches, procédés humides, ventilation adéquate avec filtration et nettoyage régulier.

«Si l'amiante restait incorporée aux matériaux, cela réduirait de beaucoup sa nocivité. Or ce n'est pas le cas, précise le Dr Turcotte. L'amiante-ciment étant éminemment friable, il se libère des nuages d'amiante dès que ce matériau est utilisé dans la construction.»

Expert de santé publique reconnue, Fernand Turcotte était l'un des 106 scientifiques internationaux ayant signé la lettre demandant la fin immédiate de l'exportation d'amiante, transmise la semaine dernière à M. Charest.

Responsabilité

L'Institut du chrysotile rejette ces critiques et réitère qu'il dispense l'information nécessaire aux compagnies, syndicats et pays utilisateurs d'amiante, incluant l'Inde.

«Ces pays ont donc reçu l'information nécessaire pour prendre leurs responsabilités face au risque, a indiqué par voie de communiqué Clément Godbout, président. L'utilisation sécuritaire du chrysotile est certainement préférable à son bannissement et son remplacement par des fibres et produits, dont les risques n'ont toujours pas été évalués et dont l'utilisation est mal réglementée.»

Au contraire, l'interdiction est préférable à une utilisation que l'on peine à rendre sécuritaire, selon le Dr Ivanov et plusieurs scientifiques québécois. Dans une lettre ouverte publiée en septembre dernier, une douzaine d'experts du réseau de la santé publique rappelait qu'un documentaire récent de la CBC montrait des travailleurs indiens couverts de poussière d'amiante (un dossier du Globe and Mail a montré la même chose)

«La poursuite de l'utilisation de l'amiante-ciment dans la construction suscite des préoccupations particulières, écrit Ivan Ivanov, du fait qu'on a affaire à une main-d'oeuvre importante, qu'il est difficile de contrôler l'exposition et que les matériaux en place peuvent se détériorer et constituer un risque pour ceux qui effectuent des opérations de réparation, d'entretien, et de démolition.»

Cela est encore plus vrai dans les pays en développement, renchérit Kathleen Ruff, coordonnatrice de l'Alliance pour la Convention de Rotterdam, traité qui encadre le commerce international de certains produits chimiques dangereux.

Tout est réutilisé de nombreuses fois là-bas : non seulement les plaques et les tuyaux en amiante-ciment peuvent donc se détériorer avec le temps, elles peuvent aussi être percées ou sciées lors de la construction ou la rénovation des maisons et écoles, sans jamais que les travailleurs et la population soient mis au courant de leur dangerosité.

«Il est donc difficile de comprendre pourquoi d'un côté Jean Charest fait confiance aux scientifiques lorsque vient le temps d'agir contre les changements climatiques, mais que de l'autre il bafoue leur discours et continue d'exporter ce produit cancérogène dans les pays en développement», se désole Kathleen Ruff.

Selon le Dr Ivanov de l'OMS, l'exposition à l'amiante provoque toute une série de maladies dont le cancer du poumon, le mésothéliome et l'asbestose. Elle évalue qu'environ 90 000 personnes au moins meurent chaque année d'une de ces trois maladies, à la suite d'expositions professionnelles à ce produit. Plusieurs milliers de décès pourraient aussi être attribués à d'autres pathologies liées à l'amiante ainsi qu'aux expositions non professionnelles.

L'Amiante en quelques chiffres:

-Première cause de mortalité des travailleurs au Québec.

-60% des décès compensés par la CSST.

2004: 612 nouveaux cas de maladies associées à l'amiante, 134 nouveaux cas de mésothéliome, 211 cas d'amiantose, 268 cas de cancer du poumon.

1992: 92 cas de mésothéliome.

2006: 142 cas de mésothéliome.