Le 18 juillet dernier, le ministère des Transports a ordonné la fermeture «d'urgence» de plusieurs voies de l'échangeur Turcot. Les firmes d'ingénieurs mandatées pour surveiller la structure avaient fait leurs calculs et sonné l'alarme : on craignait l'effondrement.

Selon les informations obtenues par La Presse, un rapport d'inspection des firmes Dessau, SNC et Cima fait quelques jours auparavant poussait les ingénieurs à s'interroger sur la «capacité portante» de certaines parties aériennes de l'ouvrage qu'empruntent chaque jour 280 000 véhicules.

Le rapport transmis au Ministère constatait, indiquent des sources fiables, que l'armature d'acier dans le béton n'avait pas été placée conformément aux plans en 1967, un problème similaire à ce qui a entraîné l'effondrement du viaduc de la Concorde il y a deux ans. Le mémo estimait aussi qu'il y avait un problème avec les «chevêtres» de l'échangeur - le haut des «T» au sommet des piliers.

Ce vendredi soir de juillet, «on a constaté une problématique sur Turcot et procédé rapidement, rétréci les voies et mandaté d'urgence un constructeur pour réparer la structure», a soutenu hier Denis Jean, le sous-ministre des Transports, qui accompagnait sa patronne Julie Boulet pour une conférence de presse délicate.

Hier, La Presse a fait état d'un rapport de PricewaterhouseCoopers signalant que «plusieurs structures du complexe Turcot sont en mauvais état et pourraient constituer des problèmes de sécurité pour les usagers». Un rapport «de comptables», un constat jugé hier inutilement «alarmiste» par la ministre Boulet. Candide, le sous-ministre adjoint, Jacques Gagnon, a toutefois précisé que les spécialistes chargés de comparer les modes de construction conventionnels au partenariat public-privé avaient, sur l'état de l'ouvrage, pris leurs informations dans des rapports internes de Transports Québec.

Une construction comme Turcot, «il ne s'en fera plus au Québec, nous l'espérons tous», laisse tomber le sous-ministre Jean à ses côtés. Il poursuit : «On prend toutes sorte de mesures exceptionnelles pour en suivre l'état, pour éviter qu'il y ait des dangers pour les citoyens. C'est la structure la plus surveillée au Québec et c'est celle qu'on va fermer le plus vite possible si on a le moindre doute».

Détérioration

Selon le sous-ministre adjoint pour l'Ouest, Jacques Gagnon, c'est davantage un problème de détérioration que de construction qui a poussé le ministère à réduire d'urgence le trafic sur Turcot un vendredi soir d'été.

Les firmes mandatées pour inspecter continuellement l'ouvrage avaient ouvert les caissons de béton normalement scellés et constaté que «les dommages étaient plus importants que ce qu'elles avaient imaginé». On évite aujourd'hui ces structure en caissons, compte tenu de «l'agressivité importante» de l'environnement au Québec. Le gel et le dégel, les fondants à neige, le poids des véhicules accélèrent le vieillissement de ces ouvrages qui, au Québec, n'ont pas fait l'objet d'un entretien assez attentif dans les dernières décennies.

Après avoir refait les calculs, les ingénieurs ont estimé que la capacité portante des rampes était réduite, et décidé qu'il fallait, vite, diminuer le poids des véhicules sur les deux côtés des voies, d'où l'intervention «d'urgence». Encore aujourd'hui sur certains segments les autos ne peuvent circuler que sur une seule voie, au centre. Les camions sont proscrits sur plusieurs segments.

Fermeture

Pendant ce temps on s'affaire à forer le tablier, à cribler la dalle de tiges de fer verticales pour renforcer cette structure défaillante.

«S'il est possible, on remettra la circulation, si ce n'est pas possible, on va les maintenir fermées (les voies)», a tranché le sous-ministre Gagnon.

L'échangeur Turcot doit être complètement refait d'ici 2015. On démolira la structure aérienne pour la remplacer par des autoroutes en remblais, une conception bien plus stable et durable, un projet de 1,5 milliard.

Interpellée par l'adéquiste Mario Dumont et le péquiste Stéphane Bergeron à l'Assemblée nationale, la ministre Julie Boulet jugeait inutilement «alarmistes» les médias, et se voulait rassurante. «Il n'y a aucun compromis qui sera fait sur la sécurité à l'échangeur Turcot», promet-elle.

En Chambre comme en conférence de presse, Mme Boulet a assuré que les travaux allaient débuter en 2009 pour ce gigantesque projet. Quand on lui rappelle qu'un tel échéancier exclut en pratique toute formule de PPP, ses fonctionnaires précisent que par «travaux» il faut comprendre des interventions comme la décontamination de la cour Turcot, des travaux de préparation pour faciliter la vie aux entrepreneurs éventuellement choisis.

À mots couverts, elle laisse comprendre toutefois qu'elle préférerait un chantier conventionnel, comme l'indiquait La Presse hier. La consultation avec les résidants du secteur sera importante pour toute la durée du chantier qui se prolongera en 2015. Un entrepreneur en PPP, cadenassé par ses objectifs et ses échéanciers, n'aura pas l'écoute nécessaire, estime-t-elle.