Hier, six membres de haut rang de la mafia montréalaise se sont reconnus coupables des accusations qui pesaient sur eux en marge de l'opération Colisée, menée en novembre 2006. Pendant cinq ans, la GRC a mené la plus importante enquête anti-mafia des annales canadiennes.

Après deux ans de procédures judiciaires, le puissant «parrain» Nicolo Rizzuto et cinq autres membres de haut rang de la mafia montréalaise se sont finalement reconnus coupables, hier, en marge de la célèbre opération Colisée menée en novembre 2006. À la demande des avocats, le juge Jean-Pierre Bonin, de la Cour du Québec, a accepté de rendre sentence seulement le 16 octobre.Ce dénouement est le fruit d'une longue et ardue négociation entre les avocats de la poursuite et de la défense. Dans les coulisses, on savait depuis longtemps que les six mafiosi désiraient plaider coupable. Ils pouvaient difficilement faire autrement: la preuve était accablante. Au cours des cinq années de son enquête, la GRC a intercepté plus d'un million de conversations. Mais surtout, elle a réussi à cacher des micros et des caméras dans deux principaux lieux de rencontre des mafiosi, le Club social Consenza, à Saint-Léonard, et le Bar Laennec, à Laval. Au Consenza, surtout fréquenté par la vieille garde, les policiers ont filmé pas moins de 192 transactions d'argent.

Sur des extraits vidéo, on peut voir Nicolo Rizzuto et ses associés prendre leur part des recettes provenant des divers rackets de l'organisation. À quelques reprises, on aperçoit même le chef mafieux de 84 ans mettre des liasses de billets de banque dans ses chaussettes. Compte tenu de son état de santé précaire, on peut penser que le vieil homme pourra recouvrer la liberté assez vite. Les deux ans passés en prison depuis son arrestation en 2006 comptent pour le double, cependant que les accusations portées contre lui se résument à la possession d'argent sale et au gangstérisme.

«C'est bien beau les vidéos et l'argent qui circule. Dans bien des cas, toutefois, la poursuite n'est pas en mesure de démontrer la provenance exacte de l'argent», a expliqué un avocat de la défense. «C'est ainsi, plus on monte dans la hiérarchie, plus la preuve est difficile à faire, et moins les sentences sont élevées», a-t-il ajouté, sans vouloir en dire plus.

Désigné par la police comme le «consigliere» du clan sicilien, Paolo Renda, 69 ans, qui est à la fois le cousin et le gendre de Nicolo Rizzuto, s'est déclaré coupable des deux mêmes accusations de recel d'argent et de gangstérisme. Il a aussi pris le blâme pour la possession illégale d'un revolver à canon coupé de calibre 32, ainsi que le mauvais entreposage de deux fusils de chasse. Toutes ces armes avaient été saisies lors de la perquisition à son domicile de l'avenue Antoine-Berthelet, le matin de la rafle antimafia du 22 novembre 2006. Pas moins de 90 personnes avaient alors été arrêtées à Montréal et ailleurs.

Allié de longue date de Nicolo Rizzuto, l'ex-gérant du Consenza, Rocco Sollecito, 60 ans, pourrait écoper davantage. Outre son intérêt pour l'argent sale, il a reconnu sa participation à des complots liés à l'extorsion, le bookmaking, les maisons de jeu et la possession d'argent en voie de blanchiment. Quant aux "hommes de terrain", Francesco Arcadi, 54 ans, et ses lieutenants, Lorenzo Giordano, 45 ans, et Francesco Del Baso, 38 ans, ils ont plaidé coupable aux mêmes inculpations. Ils ont aussi avoué avoir joué un rôle crucial dans le flux continuel de drogue, surtout la cocaïne, qu'ils ont fait entrer à Montréal pour le compte du clan Rizzuto, entre janvier 2003 et novembre 2006.

Des millions de dollars

«Les actes d'accusation reflètent exactement les crimes que chacun des accusés a commis», a déclaré l'avocat principal de la poursuite, Yvan Poulin, à la sortie de la salle d'audience. Pour des raisons juridiques qu'il a énoncées devant le tribunal, il entend préciser lors des plaidoiries sur les sentences à imposer l'ensemble des sommes d'argent et les biens qui seront confisqués dans cette affaire. «Ça se chiffre en millions de dollars», a-t-il simplement dit. La plupart des accusés, dont Nicolo Rizzuto, devront aussi régler leurs comptes avec l'impôt. Dans l'intervalle, leurs biens restent gelés. À l'origine, les policiers et les inspecteurs du fisc fédéral parlaient de biens évalués à 6,1 millions.

C'est dans ce contexte que les différentes phases du procès sont allées de report en report depuis un an pour en arriver au résultat d'hier. En octobre l'an dernier, les avocats avaient même prévenu le tribunal d'un règlement imminent. L'un des accusés avait toutefois fait volte-face à la dernière minute. Dans un ultime effort de règlement, les parties ont même fait appel au juge Jean-Pierre Bonin, à titre de «facilitateur». Une médiation tout aussi exceptionnelle avait permis il y a quelques années de mettre fin à l'un des superprocès de motards, au Centre de services judiciaires Gouin.

En sortant du palais de justice hier, les avocats de la poursuite et de la défense avaient du mal à cacher leur satisfaction. Certains avaient même un sourire triomphant. Pour leur part, derrière les grandes vitres du box des accusés, les six accusés ont repris le chemin des cellules, menottes aux poignets. Ils reviendront devant le tribunal le 16 octobre.