Après avoir plaidé coupable devant un tribunal militaire à Guantanamo Bay, le jeune Canadien Omar Khadr a été condamné à huit ans de prison. Cette peine, beaucoup moins lourde que les 40 ans d'emprisonnement que voulait imposer le jury militaire, a pourtant scandalisé l'un des avocats canadiens du jeune homme. Dans une entrevue exclusive accordée à La Presse, Dennis Edney se vide le coeur.

Honte. Déception. Rage. Le procès d'Omar Khadr à Guantanamo Bay est peut-être terminé depuis deux mois, mais son avocat canadien, Dennis Edney, ne décolère pas. Selon lui, son jeune client n'a jamais eu droit à une véritable défense de la part de ses avocats militaires américains. Il accuse ces derniers de négligence.

L'avocat d'Edmonton, originaire de l'Écosse, a rencontré La Presse à l'aéroport Pearson de Toronto, la semaine dernière, pour faire un retour sur le procès qui s'est terminé à la fin octobre à Guantanamo Bay. Son client, Omar Khadr, a plaidé coupable à des accusations de meurtre, de terrorisme et de complot. Des crimes qu'il aurait commis à l'âge de 15 ans.

Cette admission de culpabilité a permis de conclure une entente avec le gouvernement américain qui réduit à huit ans la peine d'emprisonnement d'Omar Khadr, dont une seule à purger à Guantánamo.

«Après avoir vu la défense inepte qu'ont présentée les avocats militaires qui représentaient Omar à Guantánamo, il était clair que nous devions le sortir de là le plus vite possible», dit Dennis Edney.

M. Edney n'a pas participé aux négociations qui ont mené à l'entente, une tâche qui a incombé à son collègue Nate Whitling et aux avocats militaires d'Omar Khadr, le lieutenant-colonel Jon S. Jackson et le major Matthew Schwartz. Le résultat de ces négociations est, selon M. Edney, une véritable honte.

Le 13 octobre, deux semaines avant le début du procès, le jeune Khadr a notamment dû signer un énoncé de faits dans lequel il reconnaît avoir tué le soldat Christopher Speer. Il admet aussi qu'il est membre actif d'Al-Qaïda, qu'il est désireux de tuer un maximum d'Américains et qu'il a été élevé dans la haine des Juifs par son père, Ahmed Said Khadr, proche d'Oussama ben Laden, tué en 2003.

«J'étais enragé, offensé et furieux quand j'ai vu l'énoncé de faits. Ça va beaucoup plus loin que de plaider coupable aux accusations. Ça fait d'Omar le bras droit de son père en tant qu'ultra-terroriste. Il n'était rien de plus qu'un enfant de 15 ans, mis en danger par son père dans des circonstances qui étaient indépendantes de sa volonté», estime Dennis Edney.

Peu de témoins

Dans cette entente à l'amiable, les avocats militaires ont aussi accepté de limiter à quatre le nombre de personnes qui pouvaient être appelées à témoigner en faveur d'Omar Khadr, explique M. Edney. De ce nombre, les deux témoins experts qui connaissaient le mieux le dossier du jeune homme, un psychiatre et une psychologue, n'ont pas été appelés à la barre.

La représentante spéciale des Nations unies pour les enfants dans les conflits armés, Radhika Coomaraswamy, qui était prête à se rendre à Guantánamo, n'a jamais été convoquée, expose l'avocat. De plus, le récent documentaire des réalisateurs montréalais Luc Côté et Patricio Henriquez, Vous n'aimez pas la vérité, sur Omar Khadr, n'a pas non plus été présenté en preuve par la défense américaine comme le souhaitait Dennis Edney.

«J'avais promis à Omar qu'aux audiences sur la peine, nous serions capables de rétablir sa réputation en faisant entendre plusieurs témoins que j'avais trouvés et aussi des experts. C'était faux! La défense militaire a été négligente», estime l'avocat

canadien. Selon lui, en signant cette entente, «Omar a fait un pacte avec le diable pour sortir de Guantánamo».

La défense se défend

Joint par La Presse, le principal avocat militaire dans l'affaire, le lieutenant-colonel Jon S. Jackson, s'est dit surpris de la réaction de M. Edney. Ses collègues et lui, explique-t-il, ont travaillé d'arrache-pied pour obtenir la meilleure entente possible pour Omar Khadr dans les circonstances: «Je suis extrêmement fier de tous les avocats qui ont représenté ou assisté Omar Khadr au cours de son procès devant la commission militaire. Tous les membres de l'équipe qui ont pris part aux négociations, y compris l'avocat canadien Nate Whitling, ont adhéré aux plus hautes normes éthiques et juridiques.»

M. Jackson et son collègue Matthew Schwartz visitent régulièrement Omar Khadr dans le camp no 5, où il a été transféré depuis la fin de son procès et où il vit en quasi-isolement. Ils l'aident notamment à parfaire ses études. «Omar est extrêmement heureux de savoir qu'il retournera au Canada dans moins d'un an. Il travaille très fort pour se préparer à ce retour. La priorité de mon équipe continuera d'être la réussite de la réintégration d'Omar dans la société», explique M. Jackson.

Nate Whitling, pour sa part, admet que l'entente à l'amiable a de nombreuses lacunes, mais il croit qu'elle était la seule issue possible pour son client. L'autre était une peine d'emprisonnement à vie. «Je reconnais qu'Omar n'a pas eu le choix de signer l'entente. On y aurait lu qu'il était responsable de l'assassinat de John F. Kennedy et il l'aurait signée.» Il estime cependant que ses collègues militaires ont agi avec éthique. «Parfois, Dennis et moi aurions fait des choix différents des leurs, mais ils n'ont pas été négligents», argue celui qui épaule Dennis Edney dans l'affaire Khadr depuis 2004.

À la dernière minute

Dennis Edney ne réserve pas tous ses reproches aux avocats militaires. Il en a aussi long à dire sur le gouvernement canadien, qui a selon lui attendu jusqu'à la dernière minute pour donner son aval à l'entente qui prévoit que le jeune Khadr, aujourd'hui âgé de 24 ans, pourra rentrer au pays l'an prochain.

«Il a fallu les amener à la table à leur corps défendant. On a reçu la note diplomatique à la veille de la reprise du procès», affirme-t-il.

«Sans cette note, l'entente ne tenait plus et la défense n'aurait pas été prête pour le procès».

Malgré les promesses diplomatiques canadiennes, Dennis Edney est convaincu que le rapatriement d'Omar Khadr ne se fera pas sans heurt. En dépit des causes remportées par les avocats canadiens devant les tribunaux du pays, le gouvernement de Stephen Harper n'a rien fait pour rapatrier le jeune homme ou pour faire respecter ses droits fondamentaux.

«Je n'ai absolument aucune confiance en ce gouvernement, s'indigne l'avocat. Ce sera une immense bataille pour rapatrier Omar, j'en suis certain.»