Calixa-Lavallée est l'école secondaire de l'autre «Bronx» de Montréal-Nord. Le genre d'école où des élèves disent tout haut devant la classe qu'ils veulent devenir proxénètes. Où des parents n'ont plus d'argent pour l'épicerie après avoir payé l'uniforme scolaire. Où des ados fraîchement débarqués d'Haïti ne savent même pas comment tenir un crayon. Et où, malgré tout, les enseignants ont Calix tatoué sur le coeur. Hier, La Presse vous a décrit le quotidien des enfants du quartier; voici aujourd'hui ce qui leur arrive à l'adolescence. 

La rencontre de remise des bulletins est commencée. On est en début d'année scolaire à l'école secondaire Calixa-Lavallée. Au beau milieu du gymnase, une mère éclate en sanglots devant la directrice, Sylvie Beaupré. 

Les regards de dizaines de parents sont soudainement tournés vers les deux femmes. «Dix dollars, c'est trop cher», explique péniblement la mère de deux ados. Dix dollars par mois, c'est ce qu'on demande aux élèves démunis contre un repas chaud tous les midis à la cafétéria.

Pour la maman, cette somme dérisoire est la goutte qui fait déborder le vase. Elle a fait d'énormes sacrifices pour payer l'uniforme de ses deux ados (environ 120$ par enfant). Elle n'a plus d'argent pour les nourrir.

«J'ai passé toute ma carrière en milieu défavorisé, mais on ne peut pas devenir insensible à des scènes comme celle-là», raconte la directrice de cette école secondaire publique de Montréal-Nord.

La pauvreté n'est pas subtile, ici. Elle vous saute au visage au détour de chaque corridor.

L'uniforme, obligatoire depuis deux ans, ne masque pas le problème. Un élève est expulsé de sa classe parce qu'il n'a pas son polo réglementaire. Il est gêné d'expliquer au surveillant qu'il en a seulement deux. Les deux sont au lavage.

«Je connais des gens qui portent le polo de l'école la fin de semaine. Ils n'ont pas d'autre linge», souligne un élève. L'adolescent en est à sa première année à Calixa. Il arrive d'une école privée. Le choc est grand. «J'ai donné beaucoup de nourriture à la guignolée. Je sais que ça va servir à des élèves de ma classe», ajoute-t-il.

Dans chaque conversation à l'apparence anodine, on sent à quel point des jeunes en arrachent. Comme dans cette classe réservée aux élèves aux prises avec des problèmes de langage. Que voulez-vous faire plus tard? leur demande-t-on. «Pimp», répond Louis. La classe de 18 élèves rigole. L'enseignant, Denis Nadeau, ne rit pas.

Ses élèves n'obtiendront jamais leur diplôme d'études secondaires. Au mieux, ils termineront une formation pour se trouver un métier semi-spécialisé. «Moi je veux être médecin. Si un membre de ma famille est malade, je pourrai le soigner gratuitement», articule difficilement Justin. L'adolescent a 10 frères et soeurs.

Les parents de Justin, comme plusieurs immigrés, ont de grands rêves pour leurs enfants. Et refusent parfois de voir leurs limites. «On a des jeunes de 16 ans avec une scolarité de première secondaire, mais leurs parents continuent de croire qu'ils vont devenir médecins. C'est très difficile de valoriser la formation professionnelle», explique la conseillère pédagogique Lucille Buist.

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Dans le gymnase au plancher usé, les 12 joueurs de basket de Calixa n'ont pas l'air de former une équipe. Le premier match à domicile de la saison est sur le point de commencer, et plusieurs ne se sont même pas encore changés. Les jeunes Noirs de 13-14 ans n'écoutent pas leur entraîneur. Ils ont les yeux rivés sur leurs adversaires. Certains ont l'air terrorisé. Et il y a de quoi.

Les joueurs de l'équipe des visiteurs, l'école Sophie-Barat, viennent de faire leur entrée dans le gymnase, gonflés à bloc. Ils sont plus costauds et plus forts. Ils ont une routine d'échauffement et un cri de ralliement. L'équipe de Calixa n'a rien de tout ça. Elle n'a même pas suffisamment de dossards de la même couleur. Ceux de Sophie-Barat ont un bel uniforme blanc. Ceux de Calixa, de vieux dossards troués. Des bleus et des verts. «Ouache, il pue. Je ne veux pas jouer avec ça», s'exclame un joueur en enfilant le sien.

On se croirait dans le film de Walt Disney Mighty Ducks. Une équipe sportive partie de loin, de très loin se frotte à un adversaire plus imposant, plus riche, plus agressif. Plus TOUT.

Plusieurs joueurs de Calixa n'ont pas mangé avant le match. Et ils ne se sont pas apporté de bouteille d'eau. Ils n'ont pas écouté les conseils de leur entraîneur, qui est aussi le responsable des loisirs de l'école, Marco Trottier. Rien d'étonnant, dit ce dernier. «Au début de l'année, j'ai des joueurs qui arrivent avec des vieux Converse aux pieds. Je dois faire des ententes de paiement avec eux pour qu'ils arrivent à payer l'inscription de 90$», raconte-t-il.

Le match commence. Il est 17h30. L'équipe de Calixa prend l'avance. Même s'ils communiquent moins sur le terrain, les jeunes ont des années de pratique dans les parcs de Montréal-Nord derrière le dossard. Et cela paraît. Un joueur qui ne mesure pas cinq pieds fait un panier de la lointaine ligne de trois points. Un autre, connu pour ses graves problèmes de comportement en classe, fait une superbe passe. «Wow, avez-vous vu ça? demande le coach aux jeunes restés sur le banc. Il a passé le ballon. C'est ça qu'il faut faire.»

Quelques spectateurs au look hip-hop, âgés dans la vingtaine, se tiennent debout, le long des murs du gymnase. Ils n'ont pas le choix. Il n'y a pas de gradins dans ce complexe sportif, qui aurait bien besoin de rénovations. Ils encouragent bruyamment Calixa-Lavallée. «Les grands frères et les amis sont souvent là. Les parents, eux, ne viennent jamais», ajoute l'entraîneur.

Il n'y a pas qu'au basket que les parents brillent par leur absence. L'école a énormément de difficultés à les rejoindre. Même quand il est question des absences répétées de leur enfant. Un fléau, ici, de l'aveu même de la direction. Mme Beaupré a donc invité par lettre les parents des 1400 élèves à une conférence sur la motivation scolaire, en plus de les relancer au téléphone. Résultat: 25 parents se sont déplacés.

Et impossible de tenir une réunion au tout début du mois. Avec un chèque d'aide sociale dans les poches, les parents ont autre chose à faire que de venir à l'école. Le président du conseil d'établissement, André Morin, a déjà vu des assemblées générales où ils étaient sept ou huit parents.

Aux grands maux, les grands remèdes. Cet hiver, l'école fera venir d'Haïti un conteur-vedette là-bas, Tonton Bicha, pour faire passer des messages de base aux parents. Des messages qui semblent pourtant aller de soi du genre: un jeune a besoin d'encouragement.

Les rares parents impliqués ont un enfant inscrit au programme omnisports de l'école, le projet Ose. C'est le cas de M. Morin, du conseil d'établissement, dont les quatre filles ont étudié à Calixa. Les élèves qui participent à Ose sont la crème de l'école. Ils ont réussi une épreuve d'habileté physique et n'ont pas de difficultés scolaires, grâce à quoi ils ont droit à davantage de périodes d'éducation physique. Or, le projet n'est pas très populaire. «Les jeunes d'un quartier défavorisé comme ici auraient intérêt à bouger plus. Malheureusement, on en attire de moins en moins», se désole un prof d'éducation physique, Sandy Fournier.

Tatoués «Calix»

Être enseignant à Calixa-Lavallée, c'est devoir expliquer à des élèves de cinquième secondaire le chemin pour se rendre au métro Berri-UQAM lors d'une sortie de classe au centre-ville. «Certains ont 17 ans et ne sont jamais sortis de Montréal-Nord», dit Michel Thouin, prof de français.

C'est aussi faire le tour de son quartier avec son cutter pour décrocher les pancartes électorales au lendemain d'un scrutin, comme le professeur de sciences, Benoît Lalande. Son radar de prof dans une école publique y voit du matériel gratuit pour des activités scientifiques.

Les profs ont «Calix» tatoué sur le coeur, comme ils disent. Jérôme Vanier y enseigne l'anglais depuis 30 ans. Mais ce qui l'allume le plus, ce sont les deux midis par semaine qu'il passe à enseigner bénévolement la guitare dans l'auditorium de l'école. L'un avec des débutants à qui il prête des guitares bas de gamme pour répéter à la maison. L'autre avec un orchestre, des élèves plus âgés passionnés de musique.

Ce midi-là, le groupe répète du Rancid, du Linkin Park et du Ariane Moffatt. «L'ouverture d'esprit n'est pas une fracture du crâne», chante une adolescente noire. Un jeune Libanais l'accompagne au piano. «C'est mon prodige», dit le prof d'anglais en montrant le frêle adolescent. «J'ai rarement vu un talent comme ça en 30 ans d'enseignement.»

Ce prodige n'a jamais pris de cours de musique. Il ne sait pas lire une partition. Mais il peut jouer n'importe quelle chanson au piano après l'avoir entendue une fois. L'ado vient d'une famille nombreuse. Et comme plusieurs autres élèves de Calixa, il a vu la guerre de près. Il était au Liban quand le conflit a éclaté à l'été 2006. «J'ai cru que j'allais mourir», raconte le garçon au regard vif.

M. Vanier tentera de convaincre ses parents de lui payer des cours. Sans se faire d'illusion. La priorité des nouveaux arrivants, c'est de payer le loyer et l'épicerie. Pas des cours de piano.

L'enseignant d'anglais n'échangerait pas sa place avec quiconque. «Je n'irais pas au privé. C'est une classe de jeunes privilégiés avec des attentes très liées au capitalisme. Ici, papa et maman ne sont pas souvent derrière leur jeune, mais les enfants ont beaucoup de gratitude.»

Mauvaise note de 10 sur 10



Calixa-Lavallée est dans le lot des 200 écoles secondaires en milieu défavorisé financées par le ministère de l'Éducation avec le programme Agir autrement. Elle a obtenu l'indice de pauvreté le plus élevé: 10 sur 10.

La bonne nouvelle? Cette mauvaise note s'accompagne de ressources supplémentaires. Il y a un éducateur spécialisé pour chaque niveau. Un travailleur social du CLSC à temps plein dans l'école. Une travailleuse communautaire chaque midi pour faire de l'animation dans un local réservé aux élèves de première secondaire.

Chaque jour, trois enseignants de l'école - c'est chacun leur tour - restent une heure de plus pour donner un coup de main aux élèves dans leurs devoirs. Pour motiver les jeunes à venir chercher de l'aide, chaque présence leur donne des points échangeables contre des sorties gratuites (La Ronde, par exemple). Une collation santé leur est servie. Et malgré toutes ces «conditions gagnantes», le programme n'attire vraiment pas beaucoup de jeunes.

Qu'à cela ne tienne, la direction et le personnel de Calixa ne se découragent pas. Ils en ont vu d'autres. L'équipe de basket benjamin garçon, aussi. Comme dans le film de Walt Disney Mighty Ducks, c'est l'équipe partie de loin, de très loin, qui a remporté la victoire au basket. Score: 74 contre 52 en faveur de Calixa.