La façon dont ont réagi Michel Chartrand et Simonne Monet-Chartrand à la mort de leur fille, en 1971, résume à elle seule à quel point ce couple mythique ne faisait pas que prêcher la justice mais en vivait, même dans la plus douloureuse des épreuves.

Michel Chartrand n'était sorti de prison que depuis quelques semaines quand la tragédie a frappé de nouveau.Sa fille, qui vivait à la campagne, a lancé à son conjoint qu'elle souffrait d'une telle migraine qu'elle se tirerait une balle dans la tête. Son conjoint l'a prise au mot, a sorti une carabine du placard et a mimé la chose. Il a pointé le canon sur sa tempe et déclenché la détente, ignorant que l'arme était chargée.

Au procès, Michel Chartrand et Simonne Monet-Chartrand ont demandé à témoigner. Non pour faire emprisonner leur gendre, mais pour signifier au juge que c'était un pur accident et qu'il serait tout à fait inapproprié de l'envoyer derrière les barreaux.

Un certain Bernard Landry, qui est plus tard devenu premier ministre du Québec, était l'avocat de l'accusé. «Je ne leur avais pas demandé de témoigner. Ce sont eux, Simonne Monet-Chartrand et Michel Chartrand, qui sont venus à moi pour me dire qu'ils voulaient seconder mon plaidoyer et confirmer la thèse de l'accident. Ils auraient pu adopter la vindicte. Au contraire, ils ont été justes et courageux.»

Suzanne, fille du couple, a expliqué hier en entrevue que pour eux, il ne s'agissait que d'aller dire ce qu'il en était. C'était une erreur de jeunesse, un triste accident, aucunement prémédité. «À leurs yeux, leur témoignage n'avait rien d'héroïque. Ils ont tenu à dire la vérité, tout simplement.»

Le juge a finalement opté pour une peine exemplaire d'un peu moins de 10 ans de prison. «Ma soeur vivait à la campagne, à la manière hippie des années 70, et le juge a tenu à faire la leçon à ces gens qui vivaient, à son avis, en marge de la société», a expliqué Suzanne G. Chartrand.

Quand on demande à Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, un souvenir de Michel Chartrand, elle évoque cette grève particulièrement dure, en 1976 à l'hôpital Notre-Dame, à une époque où les factions radicales des syndicats plaidaient pour des actions toujours plus virulentes et pour la résistance, coûte que coûte. «J'étais responsable de la ligne de piquetage. Un jour où les policiers de l'escouade antiémeute menaçaient de charger les manifestants, Michel, avec son autorité naturelle, s'est écrié: «Ouvre la ligne! Pas question de faire massacrer des employés!» Quand quelqu'un d'aussi déterminé que lui donne cet ordre, ça porte!»

Claudette Carbonneau se souvient aussi de cette soirée hommage, tenue des années plus tard. Elle était chargée de trouver un cadeau à Michel Chartrand. Bien embêtée, elle a appelé sa fille qui lui a appris, contre toute attente, que Michel Chartrand était un grand amateur de fine porcelaine. «Je suis entrée en contact avec une porcelainière et on lui a acheté une belle pièce. Si vous saviez comme il a aimé son cadeau!»

«De Michel Chartrand, on a plus retenu la truculence et la verdeur puisque c'était le genre qu'il avait cultivé pour bien se faire comprendre. Certains font des thèses, lui, il nommait les choses», a dit à son tour Gérald Larose, son ex-camarade de la CSN.

N'empêche, comme Claudette Carbonneau, Gérald Larose se souvient aussi d'un Michel Chartrand moins virulent. «Avec Simonne, il formait le plus hospitalier des couples. Combien de fois avons-nous réglé des dossiers, un dimanche, à une grande table installée dans le jardin de leur maison du Richelieu?»