En apparence, les quartiers de Montréal-Nord et de Saint-Michel se ressemblent beaucoup. Saint-Michel a une population multiethnique à forte concentration haïtienne. Le taux de chômage y atteint 19%. La moitié de la population n'a pas de diplôme d'études secondaires. Là aussi, les gangs de rue recrutent de nouveaux membres chez les jeunes. Pourtant, les deux quartiers sont radicalement différents. Pourquoi? Parce que depuis 10 ans, les partenaires de Saint-Michel ont retroussé leurs manches et tentent de reconstruire leur coin de ville, à force de petits gestes. Alors que les habitants de Montréal-Nord tentent de reconstruire des ponts de diverses façons (on accueille ce soir l'Orchestre symphonique de Montréal), la conseillère municipale de Saint-Michel Soraya Martinez nous raconte, au cours d'une visite du quartier, la petite histoire de ce grand travail.

Q Pendant que nous roulons vers notre première destination, faisons un peu le point sur Saint-Michel. Sur papier, les chiffres sont décourageants. Les problèmes sociaux sont les mêmes qu'à Montréal-Nord. Ce quartier est-il condamné à être problématique?

 

R Condamné, c'est un grand mot. Ça veut dire qu'il n'y a pas d'issue, et je ne crois pas que ce soit le cas. À Saint-Michel, depuis plusieurs années, il y a eu une prise en charge pour essayer de faire des projets concrets pour lutter contre la pauvreté.

Q Nous arrivons au Complexe environnemental et à la TOHU.

R Ce lieu, la carrière Miron, a marqué le déclin de Saint-Michel dans les années 60. Sur le plan de la symbolique collective, le message était désastreux. Vous êtes des pas bons, on va mettre des ordures chez vous. Le trou de l'ancienne carrière Miron est immense. C'est 70 m de profondeur: une tour inversée de 15 étages remplie de déchets. Et les gens habitaient au bord du trou. Ils ne pouvaient pas sortir dehors. La carrière a eu un impact très fort, mais elle a aussi créé à la fin des années 80 un esprit de solidarité qui a mené à sa fermeture. Ici, c'est donc le lieu du déclin et aussi celui du déclencheur positif, avec l'arrivée du Cirque du Soleil et de la TOHU. Bientôt, cet endroit va devenir un parc immense. Après le mont Royal, ce sera le plus grand parc de Montréal.

Q Nous sommes maintenant au Plan Robert, une enclave de HLM qui est, convenons-en, un désastre urbanistique. C'est très coûteux de s'attaquer à quelque chose comme ça. Est-ce qu'on peut quand même agir?

R C'est vrai, c'est difficile de faire quelque chose avec le bâtiment. Il faut plutôt s'attaquer au contenu. S'assurer qu'il y a des groupes sur place, des activités. Au Plan Robert, il y a trois organismes communautaires, deux maisons de jeunes, une cuisine collective. Quand je suis arrivée, il y avait deux buttes au centre des habitations, qui étaient complètement inutilisables. On a trouvé de l'argent. On l'a donné à l'association des locataires. On leur a dit: faites un espace citoyen pour vous. Ils ont mis un écran, des espaces pour s'asseoir, des tables de pique-nique sous les arbres. Ils ont géré les budgets, travaillé avec des architectes et ils animent les lieux. Les gens se sont donc approprié cet espace qui, autrefois, n'était même pas sécuritaire pour eux. Et ça marche.

Q Quel a été le rôle de la police dans les changements qui sont survenus dans le quartier?

R Il y a eu deux commandants en place depuis quelques années. Hélène Charron a ouvert la porte. Elle a démoli le mur qu'il y avait entre la police et le quartier. On a commencé à avoir une vraie relation entre la police et le communautaire. À l'arrivée de Fady Dagher, le nouveau commandant, la police s'est intégrée dans cet élan de concertation de la communauté. Quand c'est le commandant qui siège aux comités, qui va faire du porte-à-porte quand on reçoit des pétitions, ça fait toute une différence. Et certains policiers dans le quartier connaissent tout le monde. Les jeunes, les tantes, les mères. Si on a une certaine qualité de paix dans Saint-Michel, c'est grâce à des policiers comme ça. La criminalité a beaucoup diminué. Le taux de criminalité est le même, et certaines années plus bas, que la moyenne des quartiers de Montréal. Malheureusement, le quartier vit encore avec une image de criminalité.

Q À ce chapitre, quelle est la différence entre Saint-Michel et Montréal-Nord?

R Le vécu de quartier n'est pas le même. Et il y a la question des élus locaux. C'est difficile de porter un jugement, mais moi, j'ai grandi à Saint-Michel. Je suis allée à l'école ici, j'ai travaillé ici. Je connaissais tout le monde. Quand j'ai été élue, le regard des gens a changé. Mais j'ai insisté pour être une partenaire. Ce sont les élus qui doivent construire les ponts qui sont défaillants dans un quartier. J'espère que la crise va donner un nouvel élan à Montréal-Nord.

Q Un des problèmes du quartier, c'est la pauvreté. Est-il vraiment possible de s'attaquer à cela quand on est au niveau municipal?

R Le taux de décrochage est élevé ici. Il faut augmenter la formation des gens. Mais il faut aussi s'assurer qu'on a un développement économique. Quand un grand promoteur est arrivé dans le quartier (NDLR: Smart Centers, qui veut ouvrir un grand centre commercial dans l'ancienne carrière Francon), on s'est entendu pour qu'une proportion d'emplois soit réservée aux gens du quartier. Ce qu'il nous reste à faire, c'est de créer du vrai logement abordable avec des promoteurs. Pas des cinq et demie à 900$ par mois.

Q Nous finissons la visite au parc Champdoré, qui jouxte la carrière Miron.

R C'est un parc qui est très utilisé par toutes les générations. Les deux communautés qui sont venues à Saint-Michel se rencontrent ici. Il y a les Italiens, qui ont bâti Saint-Michel, et il y a des jeunes qui sont nés ici mais qui font partie d'une immigration plus récente. Il y a quelque temps, les gens sentaient vraiment une grande insécurité. On a donc réuni tout le monde, des deux communautés. On a fait une réunion très particulière, qui a débloqué beaucoup de choses. Les gens ont commencé à se parler. On a décidé d'animer le parc. On a fermé une rue, on a fait une épluchette de blé d'Inde et c'est devenu une tradition. Il y a une scène, des artistes qui jouent de la musique italienne et haïtienne. Ça prouve que, une fois que les gens se connaissent, ils ont moins peur.