La communauté des pays francophones reste encore bien disparate quand on l'observe sous l'angle du respect des droits de l'homme. Si certains parlent de progrès, on s'entend pour conclure qu'en dépit du temps les avancées restent timides.

La francophonie avait, au moins officiellement, accompli un progrès significatif quand elle avait adhéré à la Déclaration de Bamako, mais dans plusieurs pays, en Afrique en particulier, la peine de mort, l'emprisonnement, les expropriations sans raison restent encore trop fréquentes.

 

«Il y a des pays comme le Mali qui sont devenus des démocraties fonctionnelles, en dépit de sérieux problèmes économiques. Mais ailleurs, il y a eu des coups d'État encore tout récemment, en Mauritanie par exemple. La situation varie énormément d'un pays à l'autre», observe Pierre Bosset, professeur de droit, spécialisé en francophonie et en droits de la personne, à l'UQAM.

En 2000, à Bamako, la francophonie s'était donné «comme vision d'être active dans le domaine des droits». La francophonie a même un mécanisme de surveillance: «Théoriquement on peut aller jusqu'à l'expulsion de l'Organisation internationale de la francophonie. Il y a eu une suspension temporaire, le Togo, mais cela n'a rien de très coercitif», note l'universitaire.

Hier, le premier ministre Jean Charest a eu un premier entretien avec le roi du Cambodge, Sa Majesté Norodam Sihamoni. Or il n'est pas facile de vivre au Cambodge... quand on est cambodgien. «Sous des apparences de démocratie, c'est un régime autoritaire. Il y a de gros problèmes d'expropriation des terres des paysans au profit des forestières», note M. Bosset. Le second visiteur de M. Charest lui a fait faux bond, c'était El Hadj Omar Bongo Ondimba, le président du Gabon... depuis 40 ans. La rencontre a été reportée. Dans ce pays, Elf Afrique, filiale de la multinationale française, cautionne le régime depuis des décennies.

Pour Brian Barton, président sortant de l'Organisation québécoise des organismes de coopération internationale, les progrès des droits de l'homme dans les pays francophones d'Afrique sont bien timides.

«Il y a certains progrès parce que les organisations gouvernementales sont plus fortes en Afrique occidentale par exemple. Il y a un peu plus de contrôle sur ce qui est fait. La population est aussi plus organisée», observe-t-il.

Mais «des grands trous demeurent», on ne peut fermer les yeux sur les régimes autoritaires où l'armée décide du sort de la population.

La crise alimentaire mondiale a jeté de l'huile sur le feu, les manifestations sont souvent brutalement réprimées en Afrique. Bien sûr, la peine de mort reste répandue et les droits des femmes sont en danger.

Spécialiste de l'Afrique au département de sciences politiques de l'UQAM, Bonnie Campbell estime que les pays occidentaux ont trop tendance à jeter la pierre aux nations en développement.

«La situation est très contrastée selon le pays. En Guinée en janvier 2007, il y a eu des mouvements populaires pour davantage de droits, la demande est tout à fait présente», observe-t-elle.

Mais l'universitaire observe que les pays occidentaux sont souvent indifférents aux vagues sociales dans les pays africains. «Parfois nos politiques (des pays occidentaux) contribuent au non-respect des droits. Depuis 15 ans, par exemple, l'aide canadienne est conditionnelle à la privatisation des soins de santé, ce qui prive les populations de soins», observe-t-elle. Autre exemple, dans le secteur minier, les investissements occidentaux causent des déplacements de populations sans qu'on ait prévu quoi que ce soit pour aider ces gens.

«On a tendance en Occident à ne pas être très réceptif aux revendications pourtant très structurées dans les pays africains. C'est deux poids, deux mesures. Dans les années 80, on était bien plus sensibles aux revendications des syndicats en Pologne. Cet espoir de liberté est maintenant en Afrique et nos pays sont beaucoup plus indifférents», observe Mme Campbell.

Au printemps 2007, il y eut des soulèvements et plus de 200 morts en Guinée sans qu'il y ait beaucoup de réactions en Amérique ou en Europe, illustre-t-elle.

Pour des stratégies assurant le respect des droits fondamentaux, il faudrait songer à un système de «responsabilités partagées» où l'industrie, le secteur privé en Occident soit aussi imputable de ce qui se passe dans les pays où les entreprises se sont implantées.

«Il faut se demander dans quelle mesure nos politiques contribuent à la perpétuation de la situation que l'on dénonce quant au respect des droits. Braquer constamment les projecteurs sur les pays africains, alors que l'on fait la sourde oreille aux revendications des populations, c'est incomplet», résume-t-elle.