Le rapport de la commission Oliphant sur les relations entre Brian Mulroney et Karlheinz Schreiber sera rendu public aujourd'hui. Mais il ne faut pas s'attendre à de grandes surprises, selon deux experts.

Harvey Cashore, producteur de l'émission The Fifth Estate, à CBC, enquête depuis le milieu des années 90 sur les centaines de milliers de dollars qu'a versés Karlheinz Schreiber à l'ancien premier ministre conservateur en 1993 et 1994.

 

Il vient tout juste de publier un livre sur le sujet: The Truth Shows Up: A Reporter's Fifteen-Year Odyssey Tracking Down the Truth About Mulroney, Schreiber and the Airbus Scandal - que l'on pourrait traduire par: La vérité au grand jour: L'odyssée de 15 ans d'un journaliste en quête de la vérité sur Mulroney, Schreiber et le scandale Airbus.

Selon lui, la commission Oliphant a raté l'occasion qui s'offrait à elle de finalement faire la lumière sur toute cette affaire en évitant les questions relatives à l'affaire Airbus lors de son enquête publique et de l'interrogatoire des témoins, l'an dernier.

«Pour moi, la vérité est un personnage dans cette longue, longue histoire, a illustré M. Cashore lors d'un entretien téléphonique avec La Presse. Et nous avons eu une réelle occasion l'an dernier de l'interroger. Elle a frappé à la porte de cette commission et elle a dit: «Me voici. Posez-moi des questions.» Mais la commission a répondu: «Non, merci. Nous ne voulons pas vous entendre.»»

William Kaplan, qui a témoigné devant la commission et qui a écrit deux livres sur le sujet, ne croit pas lui non plus que l'on fera de grandes découvertes dans le rapport du juge manitobain Jeffrey Oliphant.

«Il n'y aura rien de nouveau, du point de vue médiatique. Nous n'avons rien appris durant l'enquête que nous ne savions pas déjà», a tranché l'avocat.

17 questions

Le premier ministre Stephen Harper a annoncé la tenue d'une enquête publique en novembre 2007, quelques jours après que Karlheinz Schreiber eut affirmé qu'il avait conclu une entente commerciale avec Brian Mulroney en juin 1993, alors que ce dernier était toujours premier ministre. Le gouvernement a calqué le mandat du commissaire Oliphant sur les recommandations du conseiller spécial David Johnston.

Bien que ce mandat n'excluait pas précisément l'affaire Airbus, Jeffrey Oliphant a lui-même laissé entendre lors des témoignages que cette question était hors de son champ de compétence. David Johnston avait pour sa part recommandé que cette portion du feuilleton Mulroney-Schreiber ne fasse pas partie de l'enquête publique, puisqu'elle avait fait l'objet d'une longue enquête menée par la GRC, sans résultat.

Selon Harvey Cashore et William Kaplan, il sera intéressant de voir comment le commissaire Oliphant parviendra à répondre aux 17 questions posées dans son mandat, à commencer par celles-ci: «Quelles transactions commerciales et financières ont eu lieu entre MM. Schreiber et M. Mulroney?» et «Quels paiements ont été effectués, quand, comment et pourquoi?».

C'est là, en effet, que divergent les versions des deux protagonistes. Brian Mulroney a reconnu sous serment avoir reçu 225 000$ en argent comptant dans des chambres d'hôtel de Montréal, Mirabel et New York, en 1993 et 1994, afin de faire du lobbyisme à l'étranger pour les véhicules blindés de la société allemande Thyssen.

Karlheinz Schreiber, qui, à l'époque, était lobbyiste pour Thyssen et pour la société Airbus, a plutôt affirmé que les paiements en coupures de 1000$ visaient à retenir les services de M. Mulroney afin qu'il exerce ultérieurement des pressions auprès des gouvernements pour la construction d'une usine Thyssen au Cap-Breton ou dans l'est de Montréal.

«Or, grâce à une vérification juricomptable faite pour la commission, nous savons maintenant que 99% de l'argent provenait d'Airbus», a rappelé le producteur Harvey Cashore. En 1988, la vente de 34 avions au gouvernement canadien pour la somme de 1,8 milliard de dollars aurait donné lieu au paiement de millions de dollars en commissions. Brian Mulroney a toujours nié avoir reçu un cent lié à cette transaction et une enquête de la GRC n'a donné aucun résultat.

«Ce que je veux savoir, c'est comment on peut répondre à la toute première question du mandat donné au commissaire Oliphant (sur la nature des transactions financières et commerciales) puisqu'on ne pouvait pas poser de questions sur Airbus, qui est l'un des enjeux principaux de toute cette affaire ?» s'interroge M. Cashore.

Règles d'éthique

La commission Oliphant n'avait pas non plus le mandat de conclure à une responsabilité civile ou criminelle de Brian Mulroney.

Le commissaire était par contre appelé à se pencher sur le respect des règles d'éthique par les détenteurs de charge publique et l'ancien premier ministre.

«Je ne peux prédire ce que le commissaire va dire, mais je ne pense pas que quiconque regardant cette histoire de manière objective et raisonnable puisse conclure que cette relation a été gérée de la manière dont elle aurait dû l'être, étant donné le fait que Brian Mulroney était un détenteur de charge publique et que des questions ont été posées sur sa relation avec Karlheinz Schreiber alors qu'il était premier ministre et après son mandat», a affirmé William Kaplan.

«Je prédis que le commissaire aura un mot ou deux (à dire) sur les normes éthiques que devrait respecter un ancien premier ministre.»