Téléphone mobile, WiFi, four à micro-ondes, compteurs intelligents... Les appareils qui nous entourent nous rendent-ils malades ? Des chercheurs de partout dans le monde tentent de le savoir à grands coups d'études. Certains doutes ont été soulevés. Mais pour l'instant, les preuves d'un quelconque danger demeurent à faire.

Qu'est-ce qu'une radiofréquence? 



La première chose à faire en analysant une éventuelle menace est de comprendre à quoi on a affaire. Comme la lumière visible, les rayons X ou les rayons gamma, les radiofréquences sont des ondes électromagnétiques. La différence tient à leur fréquence : les ondes qu'émettent les téléphones mobiles, les tours de télévision et les bornes WiFi ont une fréquence plus basse que la lumière visible. Les rayons ultraviolets du soleil ou les rayons X, au contraire, ont une fréquence plus élevée. On peut donc considérer les radiofréquences comme des « couleurs » que l'oeil humain ne peut pas percevoir.

Un mécanisme à trouver

Les scientifiques sont perplexes quant au mécanisme par lequel les radiofréquences pourraient nous rendre malades. Il faut savoir que plus une onde a une fréquence élevée, plus elle transporte d'énergie.

Les ultraviolets et les rayons X, par exemple, ont une fréquence élevée et sont dotés de ce qu'on appelle un potentiel ionisant, c'est-à-dire qu'ils peuvent arracher les électrons des atomes. « Parce qu'elles vont jouer au niveau de la cellule elle-même, on sait que ces ondes peuvent causer des cancers », dit Monique Beausoleil, toxicologue au Directeur de la santé publique de Montréal.

Les radiofréquences, au contraire, ont une énergie plus faible que la lumière visible et ne peuvent donc pas arracher d'électrons. Le seul effet connu de ces ondes sur les tissus biologiques est de faire osciller certaines molécules, dont les molécules d'eau, ce qui provoque une augmentation de température. Les fours à micro-ondes chauffent selon ce principe.

Les normes d'exposition aux radiofréquences sont donc conçues pour éviter les élévations de température. On calcule l'exposition capable de provoquer une hausse de 1 ºC. Puis, par mesure de sécurité, on divise cette exposition par un facteur de 50.

Les normes actuelles nous protègent donc du chauffage. La grande question est de savoir si, outre chauffer, les radiofréquences ont d'autres effets sur le corps humain - des effets dits « non thermiques », dont le mécanisme serait pour l'instant inconnu.

« On pourrait très bien ne pas comprendre le mécanisme, mais observer quand même des effets non thermiques », souligne Mme Beausoleil, du Directeur de la santé publique.

Voilà pourquoi les scientifiques multiplient les études pour déterminer si de tels effets existent.

Des effets non thermiques?

Les scientifiques travaillent sur plusieurs fronts afin de déterminer si les radiofréquences peuvent entraîner des effets « non thermiques ».

D'abord, en laboratoire, ils exposent des cellules vivantes à des radiofréquences pour vérifier si cela provoque des dommages. Pour l'instant, ils n'ont rien trouvé.

« Aucun effet reproductible découlant de l'exposition à un champ de radiofréquence se situant sous les niveaux nécessaires pour produire une hausse de température détectable n'a été découvert. En particulier, il n'y a aucune preuve convaincante que les champs de radiofréquences causent des dommages génétiques ou augmentent la probabilité de rendre les cellules malignes », a conclu l'Agence de la protection de la santé britannique dans un grand rapport pondu l'an dernier.

En parallèle, les chercheurs tentent de détecter des corrélations entre l'utilisation de certains appareils et la prévalence de certaines maladies comme le cancer. 

Ils se concentrent sur un appareil en particulier : le téléphone cellulaire. Il y a trois raisons à cela.

D'abord, un cellulaire qui fonctionne à plein régime émet entre 1 et 2 W de puissance, contre environ 0,425 W pour un compteur intelligent de deuxième génération d'Hydro-Québec et 0,125 W pour un routeur.

Ensuite, l'intensité du rayonnement reçu diminue très rapidement avec la distance de la source. Si on passe rarement des soirées joue contre joue avec son compteur intelligent, on tient son cellulaire collé sur l'oreille, à quelques centimètres du cerveau.

Il y a finalement l'usage. Un compteur intelligent émet des radiofréquences en tout à peine plus d'une minute et demie par jour, alors qu'on peut parler au cellulaire plusieurs heures quotidiennement.

Pour toutes ces raisons, si on démontre un jour des effets des radiofréquences sur la santé, c'est le cellulaire qui est le plus susceptible d'être mis en cause. Et si on prouve qu'il est inoffensif, les appareils qui émettent moins et sont moins utilisés pourront logiquement aussi  être considérés comme sûrs.

Des doutes surgissent

L'étude la plus ambitieuse sur le sujet, Interphone, a suivi près de 15 000 sujets dans 13 pays, dont le Canada. Objectif : vérifier si l'utilisation du téléphone cellulaire peut être liée au cancer. De façon générale, les chercheurs ont conclu que ce lien n'existait pas. Mais un doute a émergé. Chez les très grands utilisateurs du cellulaire, une déviation à la limite de la signification statistique est apparue, suggérant une relation possible entre l'usage du cellulaire et les taux de gliome et de névrose acoustique, deux types de cancer.

Jack Siemiatycki, professeur au centre de recherche du CHUM, était l'un des enquêteurs principaux de l'étude Interphone. Il souligne que l'interprétation de cette déviation a fait l'objet d'une importante controverse parmi les chercheurs d'Interphone.

« Nous avions des indices qui allaient dans un sens et des indices qui allaient dans l'autre. Nos données n'étaient pas cohérentes », explique-t-il. M. Siemiatycki souligne les limites de l'étude Interphone. On a notamment demandé à certains patients déjà atteints de cancer de quantifier leur usage du cellulaire après les avoir avertis que la recherche visait à établir un lien entre l'usage du cellulaire et le cancer. Cet avertissement, selon M. Siemiatycki, a pu influencer les sujets, et donc les résultats.

Mais l'étude Interphone a semé le doute et a fortement contribué, en 2011, à la décision de l'Organisation mondiale de la santé de classer les radiofréquences comme « peut-être cancérigènes ».

« À mon avis, c'est une désignation qui ne devrait pas provoquer de craintes ou de dépenses importantes pour changer des systèmes. Ça devrait inciter à la prudence, et ça montre la nécessité de poursuivre les travaux », dit Jack Siemiatycki, qui faisait aussi partie du comité qui a tranché en faveur de cette désignation.

Des substances comme le café et les cornichons marinés sont aussi classées comme « peut-être cancérigènes ».

Un niveau de preuve insuffisant

En octobre dernier, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), en France, a aussi produit un rapport colossal sur les radiofréquences et la santé. Fonctions cognitives, sclérose en plaques, épilepsie, alzheimer, système immunitaire, alouette : l'agence a examiné les impacts possibles sur à peu près toutes les fonctions biologiques.

Dans la très vaste majorité des cas, l'ANSES observe un niveau de preuve insuffisant pour conclure à un danger. Il y a cependant quelques exceptions. En plus des risques de gliomes chez les grands utilisateurs du téléphone cellulaire, l'ANSES affirme qu'il est impossible d'exclure qu'une exposition aux radiofréquences puisse augmenter le stress oxydant, induire des cassures d'ADN ou influencer l'activité cérébrale pendant le sommeil. Dans tous les cas, l'organisme affirme que, même si ces effets soupçonnés s'avèrent réels, ils sont probablement trop faibles pour avoir le moindre impact sur la santé.

Une vaste étude européenne appelée COSMOS, qui vient d'être lancée en Europe, s'apprête à suivre près de 100 000 usagers du téléphone cellulaire sur plusieurs années dans l'espoir d'éclaircir finalement la question.