Il est étonnant de constater que le terme « Tutsi » n’apparaît jamais dans une résolution de l’ONU de 2005 concernant le génocide qui s’est produit au Rwanda.

Aujourd’hui, 30 ans plus tard, quelle terminologie les médias utiliseront-ils ? Génocide rwandais ? Génocide au Rwanda ? Génocide des Tutsis ? La transformation du langage utilisé par les Nations unies illustre bien la prise de conscience collective tardive du devoir de mémoire de désigner clairement qui sont les victimes de ce génocide.

Voici ce que l’on retrouve sur l’un de leurs sites⁠1 : « Le 20 avril 2020, l’Assemblée générale a demandé au secrétaire général de modifier le titre du programme de communication en le remplaçant par “programme de communication sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994” … ». Or, il était question strictement de « génocide au Rwanda » dans la résolution de 2005. Le texte de cette résolution contient deux pages et l’expression génocide apparaît 17 fois. Dans l’ensemble de cette résolution, le terme « Tutsi » n’apparaît jamais !

Si le langage des Nations unies était peu clair, il est concevable qu’une grande partie des médias du monde ait participé au renforcement de la confusion.

Dans son livre Le convoi, Beata Umubyeyi Mairesse, rescapée du génocide des Tutsis, craint que la commémoration du génocide aujourd’hui ne mette en avant des images héritées de cette époque, racontant une histoire de génocide écrite par d’autres.

« En 1994, écrit-elle, puis durant les décennies qui ont suivi, le fait de ne pas nommer clairement le groupe d’appartenance des génocidés, parfaitement résumé par le terme consacré “génocide rwandais”, a aussi permis de véhiculer l’idée fausse d’une folie généralisée où tout le monde tuait tout le monde avec la vision raciste d’un peuple historiquement violent. » (p. 306)

« On peut craindre, écrit-elle, qu’à l’occasion du 30e anniversaire de la commémoration du génocide des Tutsis, certains réflexes perdurent. » (p. 315)

Les responsables

Si aujourd’hui il y a moins de confusion sur l’identité des victimes, il n’en est pas de même pour les responsables et les coupables du génocide. Encore et toujours, le rappel du génocide des Tutsis nous informera qu’il s’agit d’« extrémistes », d’« extrémistes hutus », du « Hutu Power », sans nommer aucune personne ou organisation !

Il existe des livres sur les responsables, par exemple celui du général Roméo Dallaire, J’ai serré la main du diable, où le diable en question est Théoneste Bagosora, et qui montre comment la machine du parti présidentiel MRND et les milices populaires Interahamwe ont mené les actions macabres du 7 avril à la fin du mois de juin.

PHOTO JACQUES NKINZINGABO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mémorial du génocide des Tutsis à Nyamata. On commémorera le 7 avril le 30e anniversaire qui a fait environ 800 000 victimes du début du massacre en une centaine de jours.

Boubacar Boris Diop, auteur sénégalais de Murambi, le livre des ossements, roman qui relate le massacre de 50 000 Tutsis en une seule nuit, interviewé à France Culture par Laure de Vulpian en 2003, constate⁠2 : « Et finalement, il n’y a même pas un nom pour rendre mémorable ce génocide. Lorsque vous dites “génocide cambodgien” vient le nom de Pol Pot. Pour l’Holocauste, c’est Hitler. Pour ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie, vous avez Milosevic. Mais pour le Rwanda, il n’y a aucun nom à ce génocide… » (p. 236)

Pour reprendre l’expression de Umubyeyi Mairesse, le « réflexe » fera en sorte que l’on ne dira pas ou n’écrira pas ces jours-ci, ou si peu, que c’est le gouvernement intérimaire, mis en place dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali, qui a transformé des massacres en génocide.

Devant les exécutants de ce gouvernement génocidaire, la rescapée raconte dans son livre qu’un mensonge rapidement improvisé lui a sauvé la vie. Puisqu’elle est métisse (mère rwandaise et père blanc), on la disait « Blanche ». Les génocidaires l’ont épargnée parce qu’elle se disait française et affirmait que le président de la France ne serait pas heureux d’apprendre qu’ils tuaient aussi des Français.

Aujourd’hui, respectons les rescapés et les victimes de ce génocide, en dépassant le réflexe de diffuser exclusivement des photos de crânes et de machettes et de parler uniquement des « extrémistes hutus ».

Montrons la photo des membres du gouvernement intérimaire et nommons-les ! Jean Kambanda, premier ministre, Théodore Sindikuwabo, président, le colonel Théoneste Bagosora qui, avant le début du génocide, avait déjà désigné « le Tutsi » comme l’ennemi dans la guerre civile commencée en 1990.

Dix-sept des vingt et un ministres du gouvernement ont fait l’objet d’accusations par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, quatorze de ces vingt et un ministres appartenaient au MRND, le parti de Juvénal Habyarimana, et aucun membre du groupe tutsi n’a fait partie de ce gouvernement.

IMAGE TIRÉE DU DOCUMENTAIRE TUEZ-LES TOUS !

Le gouvernement intérimaire du Rwanda lors de sa prestation de serment le 9 avril 1994 à l'hôtel des Diplomates de Kigali

Brisons le réflexe de suggérer l’existence d’un génocide spontané, une affaire de tribus qui s’entretuent, ou encore l’évocation de circonstances atténuantes réduisant la responsabilité de paysans devenus génocidaires qui auraient simplement réagi à l’action de l’armée rebelle du FPR, et publions la photo du gouvernement intérimaire génocidaire.

N’hésitons pas à reprendre la simple phrase de Wikipédia à « Gouvernement intérimaire du Rwanda » : « Ce gouvernement civil dictatorial, constitué sous la houlette du chef de cabinet du ministre de la Défense, le colonel Théoneste Bagosora, et sous l’influence directe du mouvement Hutu Power, conduisit le génocide des Tutsis rwandais. »

Il en est de même pour ce qui est d’un extrait d’un jugement de culpabilité d’un accusé de génocide, l’ancien capitaine de l’armée rwandaise Pascal Simbikangwa, devant un tribunal français : « La rapidité d’exécution et la simultanéité des massacres, leur généralisation à l’ensemble du territoire, la mobilisation des moyens civils et militaires de l’État… révèlent l’efficacité d’une organisation collective reposant nécessairement sur un plan concerté. » […] « La Cour considère… que la thèse soutenue par l’accusé d’un mouvement populaire chaotique, spontané, incontrôlable… ne concorde nullement aux constatations réalisées tant par les historiens que par les témoins visuels… »

Disons-le, ces jours-ci, 30 ans plus tard, par respect pour les victimes.

1. Consultez la page Programme de communication sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et l’ONU

2. Cité dans Rwanda, un génocide oublié ? de Laure de Vulpian

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