À bout de souffle dans des classes surpeuplées, certains enseignants en détresse (et certains rédacteurs d’opinion) en sont venus à montrer du doigt les enfants en difficulté comme les coupables du système d’éducation qui ne fonctionne pas.

On les stigmatise, on leur dit qu’ils sont des cas lourds, qu’ils devraient être exclus de la classe « régulière », qu’ils représentent une charge de travail trop élevée, qu’ils nuisent au développement des autres. Out !

Ils ont 5 ans, 8 ans, 12 ans, 15 ans, ils font pourtant partie avec leur différence du spectre de l’humanité, et tout ce qu’on leur renvoie comme image d’eux-mêmes, c’est le poids qu’ils pèsent dans la charge de travail des adultes qui les accompagnent au quotidien. On leur dit au bout du compte que c’est EUX, le problème en éducation. Out !

Jamais, en santé, on n’oserait dire aux patients que ce sont EUX, le problème du système !

On s’indigne que les meilleurs élèves soient ségrégués vers le haut (écoles privées, concentrations) et la solution qu’on apporte, c’est davantage de ségrégation, c’est d’amener les élèves en difficulté vers le bas.

On propose de caser nos p’tits humains dans les compartiments bien étanches d’une chaîne de montage Toyota, compartiments qui les façonnent et d’où ils ne sortiront jamais.

Comme mère, je suis attristée de ce discours, même si je reste inébranlablement solidaire de la cause des enseignants et que je comprends bien que c’est à coup de sous-investissement qu’on en est arrivé à cette détresse-là, collectivement.

Composer des classes à l’image de la société

En 1999, notre premier ministre François Legault, alors ministre de l’Éducation, instaurait sa politique de l’adaptation scolaire, baptisée « Une école adaptée à tous ses élèves ».

Cette politique s’appuyait sur les plus récentes recherches en éducation et sur une vaste consultation parmi les acteurs du milieu de l’éducation. Tous s’entendaient sur la nécessité, pour le bien-être de toute la société, de mettre fin à la ségrégation des élèves HDAA (handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage) et de favoriser leur intégration dans la classe ordinaire chaque fois que cela correspondait à leurs besoins.

Ce que le monde de l’éducation visait, c’était de corriger une injustice flagrante faite à des milliers d’enfants et d’adolescents, mis en marge de la société dès le plus jeune âge par une organisation scolaire désuète et discriminatoire.

On réalisait que le cloisonnement artificiel de la société nuisait non seulement à la réussite des élèves en difficulté, mais également à la socialisation de l’ensemble des élèves et des futurs citoyens, réduisant grandement la capacité de tous à cohabiter dans l’espace social, à vivre ensemble, à travailler ensemble plus tard.

Enfin, on constatait les coûts sociaux exorbitants engendrés par cette organisation scolaire dépassée : marginalisation, exclusion de la vie démocratique, maintien dans la précarité, pauvreté, enjeux de santé mentale, etc.

La science nous dit que ces constats valent encore aujourd’hui. Il ne faut pas reculer !

Une réforme bâclée

Il y a 25 ans, le ministre Legault avait promis à son personnel enseignant qu’il obtiendrait de l’aide (psychologues, psychoéducateurs, orthopédagogues, orthophonistes, techniciennes et techniciens en éducation spécialisée, etc.) pour réaliser ce plan ambitieux. Déficit zéro, pénurie de personnel, austérité, toutes les raisons ont été bonnes pour ne pas accorder ce soutien, dans les 25 années qui ont suivi.

De plus, aussi absurde que cela puisse paraître, personne n’a jugé pertinent depuis de réformer conséquemment le baccalauréat en enseignement pour réellement permettre aux enseignants de s’autonomiser et d’acquérir les outils dont ils ont besoin pour faire leur travail correctement dans ce contexte.

Depuis 25 ans, la classe dite « régulière », telle qu’on la concevait autrefois, qu’on la fantasme et dont on est nostalgique en permanence, n’existe plus.

Et pourtant, le baccalauréat en enseignement « régulier » existe toujours et compte à peine quelques heures de cours, parfois optionnelles, sur les élèves en difficulté et sur la façon dont on peut adapter notre approche et la pédagogie pour les aider réellement à réussir.

Une majorité d’enseignants arrive dans les écoles en détresse, dépossédée des outils essentiels pour faire ce qui lui est demandé : enseigner à une majorité d’enfants.

Il faut former des enseignants prêts à affronter la tâche qu’on leur donne, prêts à s’adapter à la réalité d’aujourd’hui, à ces classes riches de toutes leurs diversités de classe, de talents, de milieux et de cerveaux.

Peut-être qu’ils se sentiraient plus armés et qu’ils auraient davantage envie de rester, qui sait ?

Donner de l’espoir

Ce gouvernement doit donner de l’espoir à tous les enfants du Québec, à leurs parents et surtout aux enseignants au front. Au lieu de se demander comment on pourrait ségréguer davantage, il faut rendre la tâche réalisable !

Donnons sans nous défiler aux élèves et aux enseignants de l’aide professionnelle et technique à la hauteur de ces défis. Réduisons les ratios, progressivement s’il le faut, pour donner aux enseignants les conditions, le temps et l’air pour s’adapter à tous les p’tits humains qu’ils ont devant eux. Investissons dans des écoles saines, matériellement adaptées et propices aux apprentissages.

Tout ça coûte cher, me direz-vous. Pourtant, il est grand temps qu’on calcule ensemble ce que ça nous coûte collectivement de ne pas investir suffisamment, et de faire porter le blâme à nos p’tits humains en formation.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue