« Tout le monde peut tout comprendre. »

C’est sur la base de cette prémisse résolument optimiste que l’autrice québécoise Antonia Leney-Granger a décidé de monter une pièce de théâtre basée… sur la mécanique quantique.

Oui, la mécanique quantique. Cette science de l’infiniment petit qui décrit des objets qui peuvent être à la fois des ondes et des particules. Cette science probabiliste qui nous dit qu’il est impossible de connaître simultanément la vitesse et la position d’un électron.

Cette discipline complexe, profondément contre-intuitive, dont les spécialistes eux-mêmes peinent souvent à comprendre le sens profond.

On peut faire du théâtre avec ça ?

C’est donc avec beaucoup de curiosité que j’ai contacté l’autrice – et d’autant plus je suis un grand passionné de physique.

La directrice du Théâtre du Renard tient un discours qui rejoint mes propres convictions, notamment sur l’idée que la science fait partie intégrante de la culture et qu’elle ne peut rester l’apanage des spécialistes.

PHOTO JULIE ARTACHO, FOURNIE PAR ANTONIA LENEY-GRANGER

Antonia Leney-Granger

J’ai envie de redonner confiance aux gens et de leur dire que la science, c’est pour tout le monde. Les idées appartiennent à tous et sont accessibles à tous.

Antonia Leney-Granger, autrice et directrice du Théâtre du Renard

Elle et moi sommes tombés dans la même marmite. Même si elle ne possède pas de formation en sciences, elle me raconte le « vertige » qu’elle a ressenti en lisant des livres de vulgarisation scientifique, notamment Une brève histoire du temps, du regretté astrophysicien britannique Stephen Hawking.

« Après avoir lu ça, on voit des choses qu’on ne peut plus jamais ne pas voir », me dit-elle.

Lesquelles ?

« Si on sait que le temps est relatif et ne s’écoule pas à la même vitesse selon la force gravitationnelle, si on sait que le monde est en expansion… Regardez juste les images récentes du télescope James Webb, dans lesquelles on voit l’immensité du cosmos. Forcément, ça change notre vision du monde. Ça nous fait réaliser notre fragilité et notre petitesse », dit-elle.

« Moi, comme artiste et comme humaine, je trouve ça fascinant, continue-t-elle. Ça rajoute des couleurs et des perspectives dans ma vie, et j’ai eu envie de partager cette fascination. »

Antonia Leney-Granger a tiré de cette curiosité une première pièce intitulée Une brève histoire du temps, basée sur le livre du même nom de Stephen Hawking.

Le chapitre du livre de Hawking qui m’avait le plus fascinée était celui sur la mécanique quantique. Mais le sujet était trop dense pour le faire entrer dans la première pièce. Je me suis promis d’y revenir.

Antonia Leney-Granger

D’où cette nouvelle pièce, intitulée La rébellion du minuscule, présentée ces jours-ci au Théâtre aux Écuries, à Montréal.

Pour aborder un sujet aussi complexe, l’équipe du Théâtre du Renard a passé plusieurs années à se documenter. Ne possédant pas les bases mathématiques nécessaires à la compréhension des équations de la mécanique quantique, Antonia Leney-Granger dit avoir lu « de 30 à 40 livres de vulgarisation scientifique » sur le sujet.

Elle a aussi retenu les services d’une consultante scientifique, Stéphanie Jolicœur, et échangé à plusieurs reprises avec des physiciens.

« Je leur posais des questions, j’envoyais de petits bouts de texte en disant : “J’ai compris telle notion comme ça, je l’explique comme ça. Qu’est-ce que t’en penses ?” », raconte-t-elle, parlant de la nécessité de simplifier tout en préservant l’exactitude.

Une démarche et des préoccupations, je peux en témoigner, qui sont aussi au cœur du journalisme scientifique.

Quand on lui demande ce qui l’allume en particulier dans la mécanique quantique, elle répond par un mot : incertitude. Elle découle de l’aspect probabiliste de cette science.

« Cette idée qu’il y a une limite à ce qu’on peut connaître, qu’il y a un flou intrinsèque au cœur de notre réalité, m’intéresse beaucoup », dit-elle.

Comment on deale avec l’incertitude fondamentale du monde ? Pour moi, c’est une question qui dépasse les atomes. C’est une question intéressante dans notre monde de plus en plus incertain – géopolitiquement, socialement, climatiquement.

Antonia Leney-Granger

Le résultat ? Je n’ai pas la prétention d’être critique de théâtre. Mais j’avoue avoir été surpris par l’aspect éminemment pédagogique de la pièce. Antonia Leney-Granger ne se sert pas de la mécanique quantique comme d’un simple point de départ pour nous amener ailleurs. Elle veut réellement faire comprendre des notions de physique aux spectateurs.

La pièce s’ouvre sur la fameuse expérience des fentes de Young, qui permet d’illustrer la dualité onde-corpuscule des objets quantiques. Le physicien en moi jubilait. Il traîne sans doute encore chez moi des feuilles couvertes de schémas, témoins de mes pénibles tentatives d’expliquer la chose à mes proches. Disons qu’en s’appuyant sur des effets visuels bien pensés, la pièce y parvient beaucoup mieux.

PHOTO MAXIM PARÉ FORTIN, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DU RENARD

Présentée ces jours-ci au Théâtre aux Écuries, la pièce La rébellion du minuscule est défendue par une distribution 100 % féminine.

Certains parallèles entre le monde quantique et notre monde macroscopique m’ont aussi arraché un sourire. Comme cette scène où l’une des protagonistes observe que les objets quantiques « changent leur nature profonde juste parce qu’on les regarde ». Effectuer une mesure sur un électron, par exemple, en transforme l’état.

La réplique survient au terme d’une scène où les deux actrices dansent sans retenue puis s’arrêtent, soudainement conscientes et gênées de la présence du public. Le message : nous aussi, nous modifions nos comportements lorsque nous sommes observés.

La pièce s’appuie par ailleurs sur une distribution 100 % féminine, et il ne s’agit pas d’une coïncidence.

« J’aime bien l’idée de n’avoir que des femmes sur scène qui parlent de science, parce qu’on ne voit pas ça assez souvent », dit Antonia Leney-Granger, qui ne compte pas s’arrêter là. Elle rêve maintenant d’une pièce basée sur la nature et la biologie, qui suscitent chez elle le même émerveillement que la physique.

« Depuis que je sais qu’il existe des réseaux mycorhiziens qui relient les plantes entre elles, je ne peux pas me promener dans un parc sans penser à ça, illustre-t-elle. Le même vertige s’installe automatiquement. »

Le vertige devant la beauté et la complexité du monde qui nourrit l’art : quand on y pense, c’est un réflexe qui n’a absolument rien d’étonnant.

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