Avec un calendrier de 162 matchs à jouer en six mois, le gérant d’une équipe de baseball professionnelle souhaitera s’appuyer sur un grand nombre de joueurs polyvalents. Disposer de quelques athlètes à l’aise autant au troisième but qu’au champ droit devient une nécessité plutôt qu’un luxe. Les nostalgiques des Expos se rappelleront sans doute F. P. Santangelo qui incarnait ce rôle du parfait substitut capable de briller un peu partout sur le terrain et de frapper des deux côtés du marbre.

Les gouvernements cherchent aussi des « F. P. Santangelo ». Des politiciens doués non seulement pour diriger un ministère, mais également pour porter le message du gouvernement. Choisir un cabinet exige des talents d’équilibriste et cela donne souvent des résultats étonnants. Parlez-en aux près de 60 députés de la CAQ qui n’ont pas de ministère, témoins du cafouillage de collègues titulaires d’une limousine.

Au moment de son élection, un nouveau gouvernement – surtout l’entourage d’un premier ministre – hésitera beaucoup à confier des rôles de communication à tout autre que le premier ministre. Le culte du chef est habituellement à son zénith. Les « lignes » confiées aux ministres qui viennent tout juste de prêter serment ressemblent plutôt à de longs versets qui commencent habituellement par « veuillez éviter les journalistes ». Avec le temps, certains ministres se démarqueront et auront plus de marge de manœuvre. Mais pour d’autres, le purgatoire des communications peut durer des années.

Quand j’étais à Ottawa, Stephen Harper affectionnait particulièrement John Baird, Jim Prentice et Lawrence Cannon. Il n’hésitait jamais à leur confier des missions spéciales ; les apercevoir devant un micro ne lui donnait pas d’urticaire. John Baird – s’exprimant dans un français approximatif – avait carte blanche pour commenter au Québec les aléas du déséquilibre fiscal, une pièce maîtresse du programme du Parti conservateur durant la campagne électorale de 2006.

Il ne faut jamais sous-estimer l’importance d’avoir des porte-parole efficaces dans une équipe ministérielle.

Des politiciens capables de s’exprimer avec clarté et aisance sur une multitude de sujets plutôt que seulement celui du ministère auquel ils sont rattachés. Jean Lapierre jouait ce rôle avec brio dans le gouvernement éphémère de Paul Martin. Outre l’avantage de communiquer adéquatement, ces lieutenants servent aussi de paratonnerre pour leur patron. Il faut aussi savoir, même comme premier ministre, comment et quand s’effacer. Une qualité que possédait Stephen Harper et qui échappe à François Legault, surtout depuis les trois ou quatre derniers mois.

On peut s’étonner qu’après plus de cinq ans de pouvoir majoritaire, la CAQ n’ait pas de réels lieutenants capables de prendre un peu de chaleur en lieu et place du premier ministre. Où sont les Jean-Marc Fournier et Pierre Moreau de ce gouvernement ? Après les élections de 2018, on fondait beaucoup d’espoirs notamment sur Simon Jolin-Barrette et Geneviève Guilbault. De jeunes sensations, des étoiles montantes en politique québécoise, M. Legault leur a offert des postes importants dans l’appareil caquiste. Des communicateurs efficaces qui récitaient gaiement le programme de la CAQ et ses objectifs prioritaires.

Mais M. Jolin-Barrette, juriste de formation, s’est effacé tranquillement depuis, ébranlé possiblement par son bras de fer interminable avec la magistrature. Méticuleux dans l’exercice de ses fonctions de leader parlementaire pour le gouvernement, le politicien doué que nous avons rencontré en 2018 a enfilé depuis un costume de juriste pointilleux. Mme Guilbault, quant à elle, n’a rien perdu de sa verve et de son audace. Elle trépigne d’envie de porter des messages, sinon de porter secours. Pour ses collègues, toutefois, lorsqu’elle s’aventure dans leur pâturage, il n’est pas rare qu’il en résulte quelques ecchymoses en prime. Les autres ministres – à l’exception de Christian Dubé et Sonia LeBel – n’ont pas nécessairement le talent pour s’éloigner de leur lettre de mandat.

La chute abrupte et sévère de son parti dans les sondages depuis des mois est indissociable du premier ministre. Ses élucubrations invraisemblables depuis l’été ont fragilisé le lien de confiance avec l’électorat. Il reste néanmoins beaucoup de temps à la CAQ pour colmater les brèches. Mais si cette rupture du lien de confiance donnait des signes de passer de temporaire à permanent à la fin de la prochaine session en juin, on peut parier que les partis de l’opposition se transformeront en recruteurs. Pour un simple député de la CAQ, deux ans c’est très long si on est convaincu que le mur est inévitable.

Dans les chaussures de M. Legault, je ne paniquerais pas et songerais à donner de nouveaux rôles à M. Dubé et Mme LeBel. Le clivage autour de la réforme de la santé et les négociations avec le secteur public les ont rendus plus vulnérables en tant que communicateurs, mais ils demeurent populaires auprès du public. Le projet de loi 15 du premier a été adopté et les négociations de la seconde seront, nous l’espérons, bientôt complétées. D’autres pourront superviser la mise en œuvre de leur travail et les libérer pour des rôles différents où leur talent servira le gouvernement.

Le one-man show de M. Legault doit se terminer. Il a quelques « F. P. Santangelo » dans l’abri – il est temps qu’il pense en gérant plutôt qu’en joueur.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue