Depuis le temps qu’on parle du besoin de « faire de la politique autrement », on peut dire que c’est exactement ce que fait le chef conserveur, Pierre Poilievre, depuis son élection à la direction du Parti conservateur du Canada, il y a un peu plus d’un an.

Mais c’est tellement « autrement » que bien des électeurs ne sont pas encore certains s’ils doivent continuer à appuyer celui qui veut remplacer Justin Trudeau, selon certains sondages.

Reste que l’année a été celle de Pierre Poilievre, qui termine 2023 très en avance dans les sondages, avec un parti qui pourrait aussi connaître sa meilleure année sur le plan du financement, avec plus de 23 millions de dollars cette année, plus du double des libéraux.

On notera aussi qu’il a fait entrer de plain-pied le Parti conservateur dans l’ère des réseaux sociaux. « Donnez une grande entrevue à la télévision et personne ne va vous en parler. Mais si vos interventions en Chambre se retrouvent sur TikTok ou X, c’est là que l’on rejoint les électeurs aujourd’hui », disait un député.

Le point faible reste cependant le Québec. Même si M. Poilievre est le chef conservateur qui s’exprime le mieux en français depuis Brian Mulroney, actuellement, on voit difficilement comment et surtout où le PCC pourrait gagner beaucoup de sièges au-delà de ses terres déjà conquises dans la grande région de Québec. On y reviendra, mais le Québec va devenir un enjeu important des prochaines élections.

PHOTO PAUL DALY, ARCIHVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre a pris la parole à St. John’s, à Terre-Neuve, en octobre dernier pour dénoncer la taxe fédérale sur le carbone.

Si les sondages sont très favorables depuis plusieurs mois, il reste que l’année s’achève sur une baisse de cinq points des conservateurs dans le dernier sondage Abacus et une augmentation de quatre points des libéraux. Un seul sondage ne fait pas une tendance, mais disons qu’il y a un voyant jaune sur le tableau de bord.

Selon le président d’Abacus, David Coletto, il est clair que ce changement est dû pour l’essentiel à des hésitations des Canadiens au sujet de M. Poilievre.

Il est vrai que les tactiques du chef conservateur ne font pas l’unanimité et des électeurs ont du mal à suivre certaines de ses prises de position. Ainsi, il est difficile de comprendre pourquoi les conservateurs ont refusé d’appuyer un traité de libre-échange avec l’Ukraine, sous prétexte qu’il aurait signifié l’imposition d’une taxe carbone.

C’est une prise de position qui est intrigante. D’abord, comme il s’agit d’un traité, cela signifie que l’Ukraine, pays souverain, l’avait signé en toute connaissance de cause. D’autant que le pays a déjà une (modeste) taxe sur le carbone. Mais surtout, on était en droit de se demander si l’inspiration ne venait pas directement des républicains à Washington, qui refusaient au même moment de voter une nouvelle tranche d’aide militaire à l’Ukraine.

De même, certaines tactiques parlementaires ont peu d’écho sauf auprès des conservateurs convaincus, comme de faire voter les Communes pendant une trentaine d’heures afin de démontrer leur opposition à la taxe carbone.

Si on en croit un sondage Angus Reid publié il y a quelques jours, les conservateurs obtiendraient plus de 40 % des voix, contre 24 % pour les libéraux. Cela dit, il y a 14 % de « conservateurs mous » qui pourraient faire la différence entre une large majorité de sièges aux Communes et un gouvernement minoritaire ou avec une très faible majorité.

PHOTO MATT BURKHARTT, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Un poste frontalier entre l’État de New York et l’Ontario a été paralysé par un accident, le 22 novembre. Pierre Poilievre a trop vite – et à tort – considéré l’évènement comme un attentat terroriste.

Bref, M. Poilievre a su capter l’attention au cours de la dernière année, mais il n’a pas encore convaincu. Et il lui arrive d’être son propre pire ennemi, comme lors de l’accident de voiture à un poste-frontière canado-américain à Niagara Falls, qu’il a trop vite considéré comme un attentat terroriste.

Et il lui arrive aussi de semer la confusion, comme dans sa promesse de supprimer le financement de CBC, le réseau anglais de Radio-Canada, tout en maintenant celui du réseau français.

Et il y a la question du Québec. C’est au Québec que le PCC reçoit son plus faible appui : 21 % selon Abacus, ce qui est représentatif des autres sondages nationaux.

Actuellement, les conservateurs ont neuf sièges au Québec, concentrés dans la grande région de la Capitale-Nationale. Selon Abacus, les conservateurs peuvent compter sur 21 % d’appuis au Québec, contre 28 % aux libéraux et 33 % au Bloc québécois.

Partout ailleurs au Canada, le choix est essentiellement entre les libéraux et les conservateurs avec quelques enclaves orange au NPD. Au Québec, si on ne veut voter ni Trudeau ni Poilievre, il y a toujours la solution de rechange de voter pour le Bloc québécois – particulièrement quand la question nationale semble revenir dans l’actualité.

Le chef conservateur a eu une bonne année 2023, mais il faut s’attendre à le voir de plus en plus souvent au Québec en 2024. Parce qu’une couple de sièges de plus arrachés au Bloc québécois ou aux libéraux pourraient bien faire la différence entre un gouvernement Poilievre minoritaire et majoritaire.

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