Et si, au lieu de nous rendre au bureau le lundi, nous filions directement au bistro pour discuter avec nos concitoyens et trinquer toute la journée ?

Quand j’ai proposé ce réaménagement de ma semaine de travail à ma patronne, elle m’a regardé d’un drôle d’œil.

Mon intention, pourtant, ne relève que d’un strict intérêt historique. Parce qu’il fut une époque où les ouvriers faisaient exactement cela. La tradition de la « Saint-Lundi », comme on l’appelait, remonte aussi au Moyen Âge. Elle a connu son apogée au XIXsiècle un peu partout en Europe.

C’est une lectrice à la fois doctorante et musicienne, Joséane Beaulieu-April, qui a fait mon éducation sur la Saint-Lundi.

« Le lundi n’était ni pour la famille, ni pour les loisirs, ni pour faire le ménage. C’était pour rencontrer les copains au mastroquet, boire du café et du vin et avoir des discussions essentiellement politiques », me dit la jeune femme qui étudie la sémiologie, soit la science qui analyse les langages et les autres systèmes de signes présents dans la vie sociale.

« Zéa Calla », de son nom d’artiste, réagissait à ma chronique intitulée « Juste du monde qui jase ». J’y racontais comment des résidants de Salaberry-de-Valleyfield se réunissent tous les jeudis pour commenter l’actualité⁠1.

Mme Beaulieu-April a vu un parallèle entre la tradition européenne disparue et l’initiative citoyenne campivallensienne (ça veut dire que ça vient de Salaberry-de-Valleyfield).

Elle a raison. Les deux relèvent du même désir de se rencontrer, d’échanger et de brasser des idées.

Un désir, s’il faut en croire vos réactions à cette chronique, qui est loin d’être mort. Parce que vos messages ne pourraient être plus clairs : vous êtes animés d’un impérieux, d’un furieux besoin de jaser.

« Ah comme j’aimerais avoir un groupe comme ça dans mon quartier ! », nous a écrit Danielle en prenant connaissance de l’initiative « Nouvelles et café » de Salaberry-de-Valleyfield.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Des résidants de Salaberry-de-Valleyfield se réunissent tous les jeudis pour commenter l’actualité à l’occasion de l’initiative « Nouvelles et café ».

Des souhaits semblables ont fusé des Basses-Laurentides, de Sherbrooke, de Montréal, de l’Outaouais.

À Québec, Diane Gagnon est déjà en mouvement. À la lecture de la chronique, elle s’est mis en tête de présenter un projet au conseil d’administration de l’organisation à but non lucratif dans laquelle elle œuvre.

Ailleurs, c’est déjà fait.

Une quinzaine de personnes se rencontrent à la bibliothèque de Sainte-Thérèse depuis plus d’un an dans le cadre des Matinées de partage.

Lise Thériault, cheffe de division bibliothèque à la Ville de Sainte-Thérèse

À Rivière-Rouge, des « cafés citoyens » sont organisés mensuellement. Des organismes, élus ou commerçants peuvent y faire des présentations.

« Environ une centaine de citoyens y participent. Nous attirons les jeunes qui viennent partager leurs projets aussi bien que les résidents du CHSLD qui se sentent ainsi comme une partie prenante de la vie citoyenne », écrit Louise Guérin, du Comité des citoyens de Rivière-Rouge.

« Nous sommes une vingtaine de personnes se réunissant une fois par mois pour faire bouger les idées. Ensemble, nous discutons et nous écoutons. Chacun propose une question ou un thème, nous le plaçons dans un bol et pigeons. Le dialogue est parti. Nous sommes des chercheurs de nuance, des pelleteurs de nuages. Personnellement, je termine ces soirées pleine d’espoir et de confiance en l’humanité », écrit Isabelle Bêti, de Terrebonne.

Les « vrais » réseaux sociaux

À l’heure des réseaux sociaux virtuels, ce besoin de discuter face à face, en « présentiel », comme on dit depuis la pandémie, me semble fascinant.

On sent aussi un désir d’échanger avec un cercle d’interlocuteurs plus large que celui formé de nos amis et de notre famille. S’il est bien sûr essentiel de communiquer avec ses proches, les groupes citoyens permettent de se confronter à une plus grande diversité de points de vue.

Y parler requiert certes plus de courage. Il faut sortir de sa zone de confort et s’exposer au jugement des autres. Mais quand c’est fait avec respect et bienveillance, comme je l’ai vu à la matinée « Nouvelles et café », ça permet un choc des idées qui suscite de réelles réflexions.

Évidemment, on peut penser que ça brassait plus pendant la Saint-Lundi à l’aube de la révolution industrielle que dans un café de Salaberry-de-Valleyfield par un jeudi matin.

« Les militants, les syndicats savaient où trouver les gens. Et comme on était pompette, les discours étaient passionnés. On voyait parfois des émeutes », raconte Joséane Beaulieu-April.

La jeune femme est si intéressée par la Saint-Lundi qu’elle a présenté une conférence et même écrit une chanson à ce sujet⁠2.

Les élites, on s’en doute, ne voyaient pas d’un bon œil ces rassemblements, au point où elles ont réussi à y mettre fin et à pratiquement les effacer des livres d’histoire.

Ne reste qu’à convaincre mes patrons de m’accorder le temps nécessaire à faire renaître ces belles traditions. Tous au bistro ? C’est lundi.

1. Lisez la chronique « Juste du monde qui jase », publiée mercredi 2. Écoutez la chanson Saint-Lundi, de Zéa Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue