C’était il y a quelques semaines. J’avais un deuxième rendez-vous avec l’orthopédiste attitrée au suivi de mon cubitus gauche fracturé à la balle molle, et emplâtré.

Je vous en parle parce que j’ai le goût de faire pitié.

Ma première fracture à vie, à part une couple de côtes fêlées, dans des circonstances que je ne souhaite pas raconter…

Je rappelle qu’il y a eu cassure, mais que la maudite balle n’est pas passée ! Offrir son corps, souffrir et saigner du nez pour l’équipe ! Ô grandeur et sacrifice ! J’en connais qui ont reçu des médailles pour pas mal moins que ça !

La particularité du secteur orthopédie de l’hôpital est que vous ne côtoyez que des éclopés. Tout le monde ou presque a quelque chose de brisé, à part le moral.

Comme un troupeau de miséreux suivant le prêcheur, en quête d’un prodige du Seigneur.

Je me présente là extrêmement motivé, espérant un miracle de la médecine : me libérer de mon plâtre après trois semaines.

J’y suis de bon matin, à 7 h 45 – ce qui est maintenant devenu la nuit pour moi –, en me disant que comme dans le trafic routier, 15 minutes d’avance à l’hôpital peuvent faire une énorme différence dans la suite d’une vie.

Catastrophe, j’ai fait erreur et « l’appointement », comme disait ma mère, n’était qu’à 13 h 30. Comme début de journée ratée, ça frise la perfection… Je vis un mini spleen en pensant à madame Morneau qui organisait ma vie à la mairie.

De retour, j’adopte la posture du gai luron pour convaincre la Dre Ortho que je suis presque complètement guéri, que moi c’est pas pareil, et qu’une attelle au poignet, comme celle des joueurs de grosses quilles, fera facilement le reste du travail.

Mais surtout que comme l’amanchure me va jusqu’au biceps – si tant est qu’il existe encore –, j’ai une gestuelle robotique à la C-3PO dans La guerre des étoiles, ce qui est vraiment mal avenant dans l’exécution de mon haka maori pour intimider mon ami Jean avant nos parties de dominos.

Je lui sers mon baratin, elle me laisse divaguer.

Une fois que je suis essoufflé, elle me montre la radiographie : nettement, les deux morceaux fracturés ne se regardent pas dans les yeux et se boudent sérieusement.

L’écart entre eux est grand, et la doc se transforme en médiatrice familiale en m’expliquant qu’une rupture ne se règle pas si simplement, que le rapprochement exige temps et persévérance, et tout le tintouin…

Stratégie ultime pour me faire taire : elle me met en sueur en prétendant qu’il n’est pas exclu qu’elle doive installer de la quincaillerie pour corriger le tout en permanence. Vis et plaque de métal, par exemple !

Ouf ! À genoux.

Miséricorde, elle m’accorde un nouveau plâtre avec une capacité de bouger mon bras à 30 degrés. Trente degrés…

Je m’incline et attends mon tour dans la salle des pas perdus, pour en rejoindre une autre, celle des plâtres.

J’ai eu le temps d’échafauder une nouvelle stratégie pour faire face aux deux infirmières saguenéennes que je connaissais déjà, super sympathiques et responsables du crépi.

Je tente une négociation pour une configuration, genre 40, 50 degrés. Je sors le violon, flagorne, embabouine, exécute mon saut de biche… vainement. L’écho me répond : NON !

Elles en ont vu plein, des petits messieurs rigolos qui tentent de ruser avec le système. Ti-comique, va !

Au moins, j’aurai encore le choix de la sorte de plâtre et de la couleur. Ce qui avait été ma grande découverte lors de ma première visite.

Vous saviez qu’il existe des plâtres de Paris et des plâtres de fibre de verre, ou synthétiques ? Et qu’au cas où vous choisissez le synthétique, grâce à un léger supplément, on vous présente une charte de huit couleurs ? On n’arrête pas le progrès.

J’avais opté pour le bleu séparatiste pour le premier. Je demande le vert des yeux de quelqu’un que je connais pour le deuxième, en me disant qu’il y avait peut-être un gain à faire là, et qu’il n’y a pas de petits profits !

Le vert est en rupture de stock. Un autre détail annonciateur d’une journée de merde. Ça se sent, ces choses-là…

Quant au plâtre de Paris, alors que j’espérais découvrir une histoire poétique sur sa provenance, je comprends qu’il est aussi utilisé pour tirer des joints, et en vente dans toutes les quincailleries. Il n’y aura pas de conte de fées, la matière aurait été inventée à Shawi que ça ne ferait pas de différence.

À bout d’arguments, j’y vais d’une dernière tentative avec les deux artistes du gypse. Je veux taper fort avec un exemple prosaïque, au ras des pâquerettes. Je leur explique que j’ai besoin d’une bonne emprise des deux mains sur mon sandwich préféré : tomate-mayonnaise.

Que le manger à une seule main est bordélique, parce que la tomate fout le camp continuellement.

Réponse : elles font rapidement consensus sur le fait qu’il faut « slaquer » sur la mayo, vecteur déstabilisant pour la tomate, et idéalement y aller pour un sandwich sec, dry.

Facile à dire, un autre deuil…

Finalement, vide de prétextes, et avec une tête de flagellé, je remercie mes deux gentilles tortionnaires, et la Dre Ortho en passant, et repars avec mon petit bonheur bleu, aussi séparatiste que mes deux bouts de cubitus qui refusent l’union.

Entre nous

Un incontournable pour qui souhaite, avec d’autres opinions, une vue à 360 degrés de l’évolution du nationalisme au Québec. Je l’ai acheté après la lecture de l’entrevue de Rima Elkouri avec l’auteure, Francine Pelletier, il y a quelques jours : Au Québec, c’est comme ça qu’on vit – La montée du nationalisme identitaire.

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