En 2013, j’étais à Paris, totalement hors de la saison touristique. Je me suis dit : tiens, je suis à Paris, il y a le Louvre, je vais aller visiter le Louvre. Je ne l’ai jamais visité, c’est con…

Et c’est au célèbre musée que tu as la confirmation, si tu en doutais, qu’il n’y a pas de « saison touristique » à Paris. C’est la saison touristique tout le temps. Du coup (#lol), le Louvre était plein de touristes.

Bon, tant qu’à être au Louvre, aussi bien aller jeter un œil sur La Joconde

Je me suis donc pointé dans la vaste salle où est exposée l’œuvre de Léonard de Vinci et…

Et… Comment je vous dirais ça, donc…

Avez-vous déjà essayé une piscine à vagues ?

La salle où était La Joconde, c’était comme une piscine à vagues. Mais sans l’eau. La foule bougeait de la même façon que dans une piscine à vagues : nous tanguions de gauche à droite, comme un organisme vivant semi-intelligent, au gré des mouvements individuels de centaines de visiteurs tentant individuellement de se frayer un chemin pour approcher La Joconde ou s’en éloigner, de prendre un selfie avec l’œuvre, de cadrer le petit tableau…

PHOTO GUIA BESANA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des touristes tentent de photographier la célèbre Joconde, au musée du Louvre, à Paris.

J’ai tenté d’entrer dans la foule, je me suis pris le coude d’un Allemand format géant dans la gueule, puis je suis sorti de la piscine à vagues sans eau sans pouvoir approcher de La Joconde.

J’ai repensé à cet épisode en lisant la chronique d’Isabelle Hachey dans La Presse, le 15 juillet, « Ne tuons pas la beauté du monde », à propos des affres du surtourisme. J’ai bien ri parce que je me suis reconnu dans les foules qu’Isabelle décrivait, ces foules de touristes qui veulent absolument voir « les incontournables ».

Partout où il y a des « incontournables », il y a du monde, trop de monde. C’est vrai pour le Louvre, pour la fontaine de Trevi, pour les Ramblas, pour le Parthénon, pour Times Square. Et pour Venise. Mon Dieu, Venise, quelle horreur : Surtourisme, je crie ton nom sur fond de sirène de paquebot de croisière…

On n’en sort donc pas : nous sommes de plus en plus d’humains à avoir les moyens de voyager et à vouloir la photo où on fait mine de « pousser » la tour de Pise pour l’empêcher de tomber…

Et à la publier, cette photo, sur Instagram ou sur Facebook. Parce que si tu es allé voir la tour de Pise et que tu n’as pas de photo de toi « poussant » la tour de Pise, es-tu vraiment allé voir la tour de Pise ?

Ironiquement, j’étais en voyage quand j’ai lu la chronique d’Isabelle. Je me suis mis à repenser à toutes les fois où j’avais voulu visiter des incontournables, en voyage, ces dernières années…

Chaque fois, j’ai été déçu. Chaque fois.

Tenez, 2014 : je me suis tapé la visite du Vatican, qui est interminable. Le clou de la visite ? La chapelle Sixtine, bien sûr, dont la voûte est un chef-d’œuvre de Michel-Ange.

Mon souvenir : la voûte est à 20 mètres du sol, impossible d’admirer le détail de la fresque qui reproduit des scènes de la Genèse. Et les agents de sécurité engueulaient les touristes toutes les trois secondes : No photo ! No photo !

Là encore, je me souviens d’une autre piscine à vagues, d’une foule de touristes qui, ici, regarde vers le plafond. Et je me suis pris un autre coup de coude dans la gueule ! Je me retourne, je cherche à qui appartient le coude, et je vous jure, je pense que c’était l’Allemand du Louvre, l’année d’avant*…

Alors, il y a ça : il y a trop de monde qui voyage dans le monde. Mais il y a trop de monde, aussi, qui insiste pour aller voir les mêmes maudites affaires dites incontournables.

Mais plus je voyage, plus je me dis que les incontournables sont parfaitement contournables, justement.

Plus je voyage, plus je constate que les moments où je fais intensément corps avec la terre que je visite sont ceux où je me suis éloigné des incontournables.

C’est vrai à peu près partout.

Au printemps, aux États-Unis, c’était à rouler dans le désert. Et à dormir dans une roulotte, sur un ranch. Ce soir-là, un GPS situait le ranch au Nevada. L’autre, en Californie. Bref, le proverbial « milieu de nulle part », c’était là. Et j’ai plus tripé dans ce nulle part désertique qu’à Las Vegas, qui est une ode aux touristes qui aiment les piscines à vagues sans eau.

En juillet, c’était en Sicile. Le village : 5000 habitants. Le jour, pas un chat, les volets sont fermés, tout le monde fuit la chaleur.

Et le soir… Eh bien, le soir, le village se réveille.

Tu vas au restaurant, il y a huit tables, une sur le trottoir, les sept autres de l’autre bord de la rue. Les serveuses ne parlent pas anglais, le menu est en italien, et si tu as une question, les serveuses vont chercher le neveu qui baragouine l’anglais…

Après, tu vas chercher du gelato au coin de la rue et tu vas le manger sur un banc, devant l’église. Tu entends les vieux sur la terrasse de la gelateria qui discutent fort et qui rient aussi fort. Il y a deux jeunes couples qui jasent à côté de leurs scooters sous le réverbère et des enfants qui jouent au soccer à droite du parvis de l’église pendant que leurs parents les regardent, assis dans les marches…

J’ai regardé autour, pas un touriste. Juste des Italiens. Juste du monde ordinaire. La vie en Italie, un soir de juillet, dans un village tout à fait contournable.

Mais c’est drôle, le gelato à la pistache goûtait meilleur qu’à Rome ou à Florence.

Toujours est-il que du coin de l’œil, j’ai vu le ballon de soccer qui s’en venait dans mes parages. Les enfants ont crié en ma direction, je n’ai rien compris, mais j’ai tout compris : ils espéraient que j’arrête le ballon avant qu’il n’aille se perdre dans la rue…

J’ai bondi, comprenez-vous, et j’ai arrêté le ballon net sec, pif-paf, pivote, deux touches, et je l’ai renvoyé drette sur le pied d’un des ti-culs en me disant que je suis vieux, mais que je ne suis pas si vieux, qu’il y a des réflexes que j’aurai toute ma vie. Et en me disant que c’est aussi ça, le tourisme.

Bref, fuck Florence, fuck Venise. Fuck les incontournables. Le bonheur du touriste est loin des monuments.

Pardon, comment ?

Le nom du village de Sicile dont je vous parle ?

Hé, hé, bel essai…

C’est un secret.

* Le coup de coude de l’Allemand est une invention à des fins comiques. Prière de ne pas porter plainte au Conseil de presse.