Avez-vous entendu parler des « gender reveal partys » ? Au palmarès des pratiques contemporaines bidon, elle trône au sommet. Il s’agit de fêtes au cours desquelles un couple qui attend un enfant dévoile de manière spectaculaire (j’insiste là-dessus) le sexe de celui ou celle qui va naître.

Le phénomène a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années (on retrouve 500 000 vidéos de « gender reveal partys » sur YouTube), particulièrement aux États-Unis. Il serait même en train de battre en popularité l’incontournable « shower de bébé ».

La fin de semaine dernière, une Américaine invitée à l’un de ces événements a été tuée. Désireux d’en mettre plein la vue à leur entourage, les parents ont eu la mauvaise idée de faire sauter une bombe artisanale censée dégager une fumée colorée. La victime, qui était située à une dizaine de mètres de l’engin explosif, a reçu des éclats en plein visage et est morte sur le coup.

On en est là !

Lancés il y a une dizaine d’années, les « gender reveal partys » ont évidemment fait naître une industrie. Il existe maintenant des sections réservées à ce type d’événement dans les magasins d’articles de party.

Parmi les moyens utilisés pour faire l’annonce, il y a le grand classique où l’on demande aux invités de lancer des confettis avec un fusil conçu à cette fin. Si les confettis sont roses, c’est qu’il s’agit d’une fille. S’ils sont bleus… Je crois que vous avez compris.

Il y a aussi la fameuse piñata sur laquelle on frappe afin d’en faire tomber de petits jouets… roses ou bleus. Et puis, il y a les ballons de couleur gonflés à l’hélium que l’on découvre dans une boîte.

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Les « gender reveal partys » sont des fêtes au cours desquelles un couple qui attend un enfant dévoile de manière spectaculaire le sexe de celui ou celle qui va naître.

Plus le scénario est original, mieux c’est. J’ai vu dans une vidéo une femme qui pressait sur elle un faux ventre afin d’en extraire un jus. La couleur du liquide a fait savoir, sur les cris de son entourage, le sexe de l’enfant. En Arizona, un homme a mis un melon dans la gueule d’un crocodile. En broyant le fruit, l’animal a fait couler un liquide bleu.

En avril 2017 à Tucson, en Arizona, l’une de ces fêtes a mal tourné lorsqu’un dispositif contenant une substance explosive a créé un incendie qui a embrasé 19 000 hectares de forêt. Plus de 800 pompiers ont dû intervenir. Les dommages ont été évalués à 8 millions de dollars. Quant au père du bébé, il s’est vu imposer une amende de 220 000 $.

En Australie, on a trouvé une façon bien particulière de faire cette annonce. On demande au plus déluré de la famille de faire un « burnout » avec sa voiture (dérapage des roues arrière). La voiture laisse alors s’échapper une fumée de couleur. Si elle est bleue, disons qu’il y a de fortes chances que le garçon deviendra plus tard un Gino.

On en est là !

Mais il y a mieux. Certains parents demandent au médecin, lors de l’étape de l’échographie, de maintenir secret le sexe de leur enfant et d’écrire le résultat sur un bout de papier qui est glissé dans une enveloppe cachetée. Un membre de la famille, délégué par les parents, devient le seul à connaître le sexe. Les parents découvrent donc le résultat en même temps que les membres de leur famille et leurs amis.

Vous aurez évidemment compris que ces manifestations sont captées par des caméras ou des téléphones afin de nourrir les réseaux sociaux. Vous n’avez qu’à taper « gender reveal party » sur Facebook ou Twitter et vous aurez droit à une pléthore de vidéos pathétiques.

On découvre vite en voyant ces spectacles filmés que l’arrivée d’une fille suscite souvent la déception. Dans une vidéo publiée sur YouTube, un père découvrant deux ballons roses dans une boîte a du mal à esquisser un sourire. Je n’ose imaginer le choc que ses filles auront lorsqu’elles verront un jour ces images. Bonjour la thérapie !

Dans une vidéo publiée sur Instagram, une grand-mère fait éclater un ballon rempli de confettis roses. Découvrant le résultat, elle dit froidement : « A f… girl ! » Comme moment idyllique, on a déjà vu mieux. Enfin, dans une autre vidéo, un homme, déjà père de trois fillettes, peine à exprimer son enthousiasme quand il apprend qu’il sera père… d’une quatrième fille. « Is daddy happy ? », demande doucement sa femme. « Daddy is always happy », répond-il sur un ton complètement détaché.

Malaisant, vous dites ?

L’un des grands assassins de notre époque est cette irrépressible envie à mettre en scène des moments qui sont de l’ordre de l’intime. On meurt pour un égoportrait ! On meurt pour une photo « trash the dress » (autre pratique sordide qui consiste à se faire prendre en photo avec sa robe de mariée endommagée ou souillée). On meurt maintenant pour un « gender reveal party ».

On en est là !

En juillet dernier, la « conceptrice » de ce phénomène a publié un message dans lequel elle disait regretter être à l’origine de cette pratique.

En 2008, la blogueuse Jenna Karvunidis a préparé un gâteau dont le glaçage intérieur était rose. Aujourd’hui, elle croit qu’attacher trop d’importance au sexe de l’enfant est une erreur.

Alors que le combat pour l’égalité des sexes a monté d’un (sérieux) cran au cours des dernières années, qu’un mouvement prônant des environnements non genrés pour les enfants est en pleine émergence, qu’une lutte pour une meilleure compréhension de l’identité de genre est menée, une pratique pour le moins insipide vient mettre l’accent sur le sexe de l’enfant.

Au fait, que célèbre-t-on au juste ? Une anatomie, rien de plus.

Le seul moment où l’être humain vit de façon asexuée, c’est lorsqu’il est dans le ventre de sa mère. Dès sa naissance et tout au long de sa vie, on lui rappellera sans cesse qu’il a une vulve ou un pénis. Sa vie sera conditionnée en fonction de cette caractéristique biologique. Alors, svp, pourrions-nous lui foutre la paix pendant les neuf premiers mois de son existence ?

Je suis le premier à affirmer que l’humain a besoin de repères et de rituels. C’est capital. Je crois même qu’il faut en inventer de nouveaux.

Le problème aujourd’hui, c’est que l’on confond rituel et freak show.