Finalement, ce ne sera pas en déclenchant des guerres que Donald Trump aura causé la mort d’innocents. Et ce ne sera pas dans un pays étranger. Ce sera chez lui. En ignorant les données de la science. Et en mentant au public sur le virus.

Voici ce que le président des États-Unis a déclaré en conférence de presse le 26 février :

– Les chiffres des personnes infectées diminuent, ils n’augmentent pas.

– Les 15 cas américains « d’ici quelques jours seront près de zéro ».

Deux semaines plus tard, on a dépassé les 1000 cas.

Mercredi, dans un discours solennel depuis le bureau Ovale, Donald Trump blâmait les Européens et fermait les frontières aux pays de l’Union européenne pour 30 jours.

Ça n’empêchera pas les lois mathématiques et biologiques de suivre leur logique.

Il suffit de comparer les données italiennes et les données américaines. Elles suivent la même inexorable et morbide progression. Mais à une semaine de distance.

Et comme un vaccin ne sera pas prêt « très bientôt », comme a prétendu Trump, il n’y a qu’une chose à faire : annuler. Fermer. Reporter.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Selon des spécialistes, 60 % de la population mondiale pourrait être infectée à terme par la COVID-19.

Il y a deux jours, The Atlantic publiait une analyse convaincante d’un politologue rappelant notamment la lutte contre la grippe espagnole en 1918. La comparaison est hautement pertinente. Les maires des villes américaines qui ont laissé les choses suivre leur cours ont vu les morts s’empiler dans leur ville.

Le titre de son texte, que je plagie ici pour des raisons de santé publique : « Cancel everything ». Annulez tout.

LISEZ l'article publié dans The Atlantic (en anglais)

On est au point où une décision politique et des milliers de décisions collectives et individuelles radicales peuvent sauver des milliers de vies.

C’est le temps d’agir.

Là.

Tout de suite.

Tu-suite.

Ce n’est pas de l’alarmisme. C’est l’évidence même. L’ignorer, c’est repousser la fin de la propagation. C’est multiplier le nombre de malades.

C’est laisser mourir plus de gens.

Laissons faire Donald Trump. Regardons chez nous. Ah ! Seulement neuf cas au Québec ! On est chanceux !

On n’est pas chanceux, on est juste en arrière dans le calendrier qui dessine partout, partout, partout un parfaite courbe exponentielle comme on les enseigne dans les cours de mathématiques.

***

Alors à partir de maintenant, tous ceux qui peuvent agir ont la responsabilité de le faire. Massivement. Immédiatement.

Congrès, spectacles, compétitions sportives, établissements scolaires, voyages…

Désolé, il faut fermer, contenir, isoler.

Les États-Unis sont au point où étaient les Italiens il y a une semaine. Les écoles sont fermées, le pays est bouclé maintenant.

C’est maintenant que le Canada, le Québec, doivent agir, pas quand la courbe aura explosé – car, selon toute probabilité, elle explosera ici comme ailleurs.

La Corée du Sud a pris des mesures radicales, pas autant que le régime chinois évidemment, mais la courbe des infections redescend.

***

C’est étrange comment notre cerveau fonctionne.

Des fois, les informations sont trop grosses, ça n’entre pas dedans. Juste morceau par morceau. On ne veut pas exagérer. On ne sent rien autour de soi. On voit des tout petits chiffres. Bof !

Mais l’évidence est pourtant là, qui hurle…

Mercredi, plusieurs ont sursauté en entendant des responsables de la santé et des dirigeants politiques dire qu’il pourrait y avoir jusqu’à 70 % de la population mondiale infectée.

Je dis « sursauté », ce n’est pas vrai. Au fond, c’était abstrait. Dans un avenir lointain. Comme pour le soleil, dont on nous dit qu’il s’éteindra un jour.

— Vraiment ? Tu parles…

On ne comprend pas ce que ça veut dire.

Ils ne faisaient pourtant que prendre le relais de ce qui circule chez les chercheurs.

Il y a trois jours, la vénérable revue médicale The Lancet a écrit qu’à terme, 60 % de la population mondiale pourrait être infectée. Peut-être moins, selon que des mesures seront prises à temps ou pas.

LISEZ l'article publié dans The Lancet (en anglais)

Mais ce sera massif.

Un vaccin ? N’y pensez pas avant un sacré bout de temps.

« Alors ce qui reste à faire en attendant pour la mitigation, c’est la quarantaine volontaire et obligatoire, l’arrêt des rassemblements de masse, la fermeture des établissements d’éducation ou des lieux de travail où l’infection a été identifiée, l’isolation de domiciles, villages ou villes. » (Ma traduction.)

Parmi les problèmes, disaient les auteurs, c’est que probablement jusqu’à 80 % des gens infectés ne développent aucun symptôme, ou presque. Ils n’en sont pas moins contagieux.

Ça veut dire que plein de gens en excellente santé propagent le virus sans le savoir.

Le virus, par ailleurs, aurait une période d’incubation de cinq ou six jours. Donc ne se révèle pas tout de suite, s’il se révèle – ce qui serait dans une minorité de cas. Et chez ceux qui développent des symptômes, la contagion commence 48 heures avant l’apparition de ceux-ci.

Et pour en ajouter, on nous dit que la période de contagion serait d’une dizaine de jours.

Autre chose que les spécialistes disent : on ne connaît pas vraiment le taux de mortalité. Il pourrait être comme il le semble de 1 % à 3 %, ce qui est entre 10 et 30 fois plus que pour l’influenza « ordinaire » ou grippe. Il pourrait être moindre, vu le nombre de personnes infectées sans symptômes. Mais il pourrait aussi être supérieur. Parce que bien des gens malades ne sont pas morts encore et « dégonflent » temporairement les statistiques de mortalité.

Pas trop difficile d’imaginer des scénarios massifs de contagion. Et de comprendre pourquoi les courbes sont exponentielles en Italie, aux États-Unis, en France… partout. Donc ici aussi.

***

Bien sûr, il y aura des inconvénients. Des impacts économiques. Mais ils seront bien plus importants si on n’agit pas tout de suite. Ce ne sera pas un congrès qui sera annulé, ce sera une année. Ce ne sera pas une pièce de théâtre, ce sera une saison. Etc.

On va gagner cette guerre.

Mais si on ne l’entreprend pas tout de suite, elle fera beaucoup, beaucoup plus de victimes. Trop de victimes.

Personne ne peut plus prétendre ne pas le savoir.