J’ai commencé à m’intéresser à la politique dans les années 1970, à l’époque des campagnes de peur. Des peurs de nature économique contre le projet souverainiste : le coup de la Brink’s, la « piastre à Lévesque », dire à des personnes âgées que si le Québec se sépare, elles n’auront plus d’oranges... 

On a du mal à croire qu’on est en train de revenir à de telles techniques en 2022, mais à propos de l’immigration.

Il est difficile de regarder les deux campagnes victorieuses de la Coalition avenir Québec (oui, elle va gagner lundi...) sans constater que les peurs quant à l’immigration et aux immigrants eux-mêmes ont été au cœur des stratégies de campagne.

Comme dans toutes les campagnes de peur, on dit parfois de bons mots pour calmer le jeu. Ainsi, François Legault a dit que « l’immigration est une richesse pour le Québec ». Mais ça doit bien être la seule forme de richesse dont il veut moins et pas plus !

Le but de tout cela est transparent : présenter le chef de la CAQ comme le gardien de la nation québécoise qui va écarter tous les dangers pour celle-ci et le danger, dans ce cas, c’est l’étranger.

En 2018, on jouait sur la peur que les immigrants ne partagent pas nos valeurs. Il fallait donc un test de valeurs québécoises avant l’arrivée au Québec pour s’assurer que nos valeurs n’allaient pas être menacées, comme si les immigrants allaient nous imposer la charia ou la polygamie.

Mais le test est tellement simple — pour ne pas dire simpliste – qu’il a été réussi par 99,93 % des candidats à l’immigration. Évidemment, même le plus crinqué des djihadistes sait quelle réponse il doit donner à la question : « Au Québec, les femmes et les hommes ont les mêmes droits et cette égalité est inscrite dans la loi. Vrai ou faux ? »

Cette année, la campagne de peur touche la survie du français ou, si on préfère la version de la CAQ, la survie de la nation québécoise. C’est une peur légitime. Mais de là à faire porter tout le poids de la survie du français aux immigrants, il y a toute une marge.

Si la francisation ne fonctionne pas aussi bien qu’elle le devrait, c’est aussi un échec de la société d’accueil qui n’y a pas toujours mis tous les efforts nécessaires.

Par exemple, on se souvient encore de la fermeture des centres d’orientation et de formation des immigrants (COFI) qui fonctionnaient fort bien et qui ont été sacrifiés par le gouvernement Bouchard pour lutter contre le déficit.

Actuellement, le débat porte sur les seuils d’immigration. Si on devait accueillir plus de 50 000 immigrants par année, ce serait « suicidaire » pour la nation québécoise, dit M. Legault. En passant, on ne sait d’où vient ce chiffre de 50 000, mais, selon le gouvernement, en admettre un de plus serait un grand danger.

C’est une véritable campagne de peur. C’est prétendre que les immigrants seraient les responsables de la survie ou non du Québec français.

De même, quand le premier ministre dit que ce serait suicidaire, il veut couper court à toute forme de débat. Après tout, personne ne peut être pour la mort de la nation québécoise.

Sauf qu’un débat sur la question est sain et nécessaire. Et on ne peut pas croire que les chambres de commerce, par exemple, veulent la mort de la nation québécoise si elles pensent qu’en ces temps de pénurie de main-d’œuvre, il faudrait accueillir plus d’immigrants.

Beaucoup de gens ont des arguments à faire valoir et il est normal qu’ils puissent les exprimer sans que le premier ministre les excommunie.

Et c’est dans ce climat qu’arrive « l’affaire Boulet ». Une déclaration vieille de plusieurs jours de la part du ministre de l’Immigration, qui dit que les immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, n’apprennent pas le français et rejettent nos valeurs.

Rien dans la carrière de M. Boulet ne permet de croire que c’est ce qu’il pense vraiment. Mais force est de constater qu’il a colporté les pires préjugés à l’endroit des immigrants, ce qui est indigne de son poste.

M. Legault réplique que cela le disqualifie comme ministre de l’Immigration, mais qu’il restera en poste jusqu’aux élections et se verra ensuite confier d’autres responsabilités.

C’est un peu étrange. Quand on fait une bourde aussi énorme en période électorale et qu’on est disqualifié de ses fonctions par le premier ministre, normalement ça veut dire qu’on doit se retirer. Après tout, c’est pas mal plus sérieux que de piquer un dépliant dans une boîte aux lettres...

Mais cela prouve que nous sommes bien dans une campagne de peur : les peurs sont juste bonnes pour la campagne électorale. Quand c’est terminé, on oublie tout et on fait comme si de rien n’était.

Parce qu’une fois que la peur a fait son travail, on continue...