On a le droit de s’interroger quand le premier ministre, de son siège à l’Assemblée nationale, affirme qu’il « n’est pas question que notre gouvernement mette un sou des contribuables » dans le projet de retour du baseball majeur à Montréal malgré le fait qu’il ait nommé deux ministres responsables du retour de franchises sportives au Québec.

Et pas les moindres. Des membres de sa garde rapprochée : Eric Girard (Finances) pour les Nordiques et Pierre Fitzgibbon (Économie) pour les Expos.

Une équipe de baseball ou un Grand Prix de Formule 1, ça fait partie du tissu d’une ville et de son identité. Comme un orchestre symphonique, un musée d’art contemporain, un festival de jazz ou un grand parc.

Les gouvernements, partout dans le monde, subventionnent – parfois très généreusement – de tels évènements ou institutions. Et il y a, évidemment, de gros lobbies qui poussent très fort pour de tels projets.

Par exemple, il est maintenant devenu impensable de ne pas subventionner le Grand Prix de Formule 1, tant le lobby des hôteliers et des restaurateurs s’active. Les trois gouvernements (Ottawa, Québec et Montréal) ont donc récemment payé presque 100 millions de dollars pour garantir le Grand Prix pour trois années de plus, soit jusqu’à 2029.

Le lobby du baseball est nettement moins puissant, surtout que son principal soutien, l’ex-maire Denis Coderre, n’est plus dans le paysage. Mais il existe tout de même. Il reste que, ne serait-ce que pour le prestige, ce ne serait pas mauvais que Montréal, la huitième ville d’Amérique du Nord (sixième si on exclut Mexico et La Havane) retourne dans les ligues majeures.

Mais inutile de discuter en théorie, il faut regarder le projet tel qu’il se présente. Et c’est là que ça se gâte.

D’abord, il y a cet étrange concept de garde partagée où l’équipe jouerait en avril, mai et juin à Tampa et en juillet, août et septembre à Montréal. Avec le propriétaire actuel qui garderait la majorité des actions, ce qui n’est pas un détail dans les circonstances.

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Joueurs des Rays de Tampa Bay lors d’un match en mai dernier

Ça pose des problèmes sur le plan sportif. Les athlètes – qui sont presque tous dans la vingtaine ou la trentaine – voudront-ils vivre à temps partiel dans deux villes avec les problèmes familiaux que cela peut entraîner ? Pas certain que cela soit accepté dans la négociation de la nouvelle convention collective.

Et quel serait l’attachement des Montréalais envers cette demi-équipe ? Imaginez que les Rays-Expos aient un début de saison comme celui du Canadien et qu’ils arrivent à Montréal en juillet déjà éliminés du championnat. Comment, pensez-vous, qu’on vendra les billets ?

De plus, une génération s’est écoulée depuis le départ des Expos. Y a-t-il encore un marché pour le baseball à Montréal ? Il faudra tout recommencer à zéro, surtout auprès de jeunes amateurs de sport qui sont rendus ailleurs et qui n’ont aucun souvenir des Expos, sauf peut-être d’une longue agonie dans un Stade olympique vide.

On dira que c’est l’affaire des promoteurs du projet. Mais s’il y a des fonds publics, directement ou indirectement, ça deviendra le problème de tous.

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Le bassin Peel, à Montréal, près duquel la société Devimco et le groupe Claridge souhaitent construire un stade de baseball et plusieurs autres édifices.

Ensuite, il y a la question du bassin Peel. Le dernier terrain d’importance qui reste à développer au centre-ville de Montréal. La société immobilière Devimco et le groupe Claridge de Stephen Bronfman ont acquis plusieurs terrains dans ce secteur et lorgnent ceux qui appartiennent au gouvernement fédéral et ceux qui logent des centres administratifs de Loto-Québec.

La construction d’un stade est souvent vue comme un moyen de revitaliser un quartier. On l’a vu dans le sud-ouest de Washington quand les Expos sont allés s’y installer. Mais ça se traduit essentiellement par une forêt de tours de condos et de commerces de services. Une revitalisation qui a profité essentiellement aux promoteurs et aux développeurs.

Ce qui pose la question : est-ce que le meilleur moyen de développer le bassin Peel est une telle combinaison stade-condos ?

Par ailleurs, un scénario ne peut être exclu : c’est que le propriétaire des Rays – qui aurait toujours la majorité des actions –, après quelques années, décide que l’expérience de la garde partagée n’est pas concluante et rapatrie son club à Tampa ou ailleurs.

Les promoteurs montréalais n’y perdraient presque rien et conserveraient leurs lucratifs immeubles. Grâce au baseball, ils auraient réalisé une remarquable passe immobilière…

Avant de céder les terrains du bassin Peel, il faut s’assurer qu’un stade de baseball et une série d’édifices en hauteur forment un modèle de développement durable pour l’entrée sud-ouest du centre-ville de Montréal et le dernier terrain d’importance qui reste à y développer.

En particulier, il faut qu’une nouvelle consultation publique ait lieu par les instances de la Ville de Montréal, et que l’administration Plante dise clairement quelle est sa vision pour le développement de ce secteur.

Parce que la dernière chose dont Montréal a besoin, c’est un nouveau Griffintown avec un stade inoccupé au milieu.