La publication par Élections Canada d’une nouvelle projection de sièges à la Chambre des communes relance comme jamais le débat sur le poids politique du Québec au Canada. Un débat vieux comme le pays, mais qui se pose avec encore plus d’acuité cette fois-ci.

D’abord, il faut le dire, la projection faite par Élections Canada n’est pas définitive. Elle ne fait qu’appliquer de façon la plus mathématique possible les résultats du recensement sur la carte électorale. Cette proposition a toujours fait l’objet d’interventions politiques et il est normal qu’il en soit ainsi.

Dans la nouvelle répartition proposée, le Québec perdrait 1 siège et n’en aurait plus que 77, alors que l’Alberta en gagnerait 3 et l’Ontario et la Colombie-Britannique, 1 chacun. La Chambre des communes passerait de 338 à 342 sièges. Le Québec aurait alors 22,7 % des sièges pour 22,5 % de la population, ce qui est une représentation équitable dans un exercice qui ne l’est pas toujours.

Mais force est de constater que le poids politique du Québec est en baisse constante au sein du Canada, passant de 36 % des sièges à la Confédération à 27,6 % en 1966, à 24,9 % en 1999 et à 23,8 % dans la carte électorale utilisée pour les dernières élections.

Évidemment, cette perte de pouvoir politique a toujours fait partie de l’argumentaire du mouvement souverainiste. Mais elle était aussi au cœur des préoccupations de plusieurs politiciens tout ce qu’il y a de plus fédéraliste. Parmi ceux-ci, Robert Bourassa en a fait une véritable obsession.

M. Bourassa a été le dernier premier ministre du Québec à participer à des tentatives majeures de réforme de la Constitution canadienne, soit l’accord du lac Meech de 1987 et celui de Charlottetown de 1992.

Dans les deux cas, l’une de ses demandes majeures visait la préservation du poids politique du Québec. Dans le cas de l’accord du lac Meech, cela passait par l’immigration. On aurait ainsi constitutionnalisé l’entente administrative qui permettait au Québec de sélectionner ses immigrants, à l’étranger comme au Canada.

Mais on y prévoyait aussi que le gouvernement fédéral devait garantir au Québec « un nombre d’immigrants, y compris les réfugiés, proportionnel à sa part de la population canadienne, avec le droit de dépasser ce chiffre de 5 % pour des raisons démographiques ».

À Charlottetown, cinq ans plus tard, M. Bourassa avait accepté une réforme du Sénat prévoyant l’égalité des provinces en contre-partie d’une garantie formelle de 25 % des sièges de la Chambre des communes, quelle que soit l’évolution de la démographie.

Il considérait d’ailleurs que cela était sans doute le gain le plus important pour le Québec de tout cet accord de Charlottetown, qui a été défait – et pas seulement au Québec – dans un référendum pancanadien. Pour Robert Bourassa, clairement, l’immigration était l’une des clés du maintien du poids politique du Québec au sein du Canada.

On n’a pas entendu le premier ministre François Legault sur cette question au cours de la dernière semaine. Mais on l’aura entendu sur l’immigration. Voici ce qu’il a dit dans le discours d’ouverture de la session à l’Assemblée nationale :

« C’est très important, il faut respecter les capacités d’intégration du Québec. Il faut que notre système d’immigration soit adapté aux réalités uniques d’une nation francophone en Amérique du Nord. Le gouvernement fédéral doit enfin comprendre ça. Le Québec ne peut pas avoir le même modèle d’immigration que celui du Canada anglais. La survie du français exige une approche différente. »

Or, dans ce même discours inaugural, la question de la pénurie de main-d’œuvre se trouvait en toile de fond sur à peu près tous les aspects de l’activité gouvernementale : en santé, en éducation, en petite enfance et dans la relance économique en général.

Beaucoup de gens, surtout du côté du patronat, mais aussi ailleurs dans la société québécoise, disent au premier ministre qu’on ne peut pas se passer d’immigrants pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. Depuis le début de son mandat, et même si la pénurie augmente, il ne bouge pas. Or, cela est l’opinion de M. Legault, il n’y a rien qui indique qu’on ne peut pas faire plus pour intégrer les nouveaux arrivants si on y met les ressources et l’effort requis.

On ne peut pas compartimenter les dossiers quand on est premier ministre. La question de l’immigration touche aussi, nécessairement, le poids politique du Québec dans le Canada.

C’est ce qu’avaient compris Robert Bourassa et bien d’autres premiers ministres après lui qui ont voulu plus de pouvoirs sur l’immigration, mais sans pour autant décréter que la capacité d’intégration du Québec était atteinte et ne pouvait être revue.

« C’est un test pour Justin Trudeau », a dit M. Legault vendredi. Mais c’est aussi un test pour lui. Dans les missions d’un premier ministre du Québec, il y a nécessairement celle de contribuer à préserver le poids politique du Québec dans les institutions fédérales.

Et on ne peut que noter qu’à ce moment-ci, M. Legault applique des politiques qui auront des effets contraires.