Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Dany Turcotte.

Pour le bonheur de tous, novembre est le mois des morts. Champagne ! Plus on avance en âge, plus la somme de nos disparus grandit. Disons que toutes les connaissances d’un centenaire qui ont passé l’arme à gauche pourraient facilement remplir un autobus de 47 passagers, tandis que « mes » disparus pourraient – encore – voyager confortablement dans une Subaru. Mais la mort reste, pour tous les vivants, un phénomène difficile autant à s’expliquer qu’à accepter.

Encore une fois, le mois dernier, un ami a reçu sa visite. Ça s’est évidemment mal terminé. Quelques semaines plus tôt, il était pourtant rayonnant. Il s’appelait Benoît Léger. Une énergie unique qui éclabousse tout le monde de sa lumière freinée brutalement par le si cruel brake à bras ultime. Parler de lui au passé fait déjà partie des étapes du deuil. C’était le genre d’humain à tirer tout le monde vers le haut.

La mort est une faucheuse sans jugement, je la soupçonne même d’être bipolaire, myope et de viser de la gauche alors qu’elle est droitière. Benoît était un producteur de télévision, le chef d’orchestre, entre autres, de La petite séduction, qui aura été en ondes pendant 12 ans. Il avait un régime de vie sain : pas de café, bonne alimentation, jamais fumé, buveur modéré. Il a simplement pigé le mauvais numéro de la loterie génétique.

Difficile de saisir cet illogisme : des personnes sans appétit pour la vie, qui diffusent constamment des idées négatives, qui sont acariâtres et malheureuses, vont vivre jusqu’à 100 ans, et des Benoît, qui sont tout le contraire, nous sont arrachés sans explication. L’injustice avec un grand I.

Comme Benoît était un homme d’action, j’ose espérer qu’il ne se repose pas trop en paix.

J’ai 58 ans et ma famille de fantômes se sentira probablement bientôt à l’étroit dans un VUS. Je devrai peut-être passer au minibus. Mon ami et frère Dominique Lévesque est mort, aussi, à 64 ans. Après avoir été victime d’une crise cardiaque, il s’est noyé dans son masque de plongée, au Honduras, le 21 décembre 2016. Mon ex-conjoint André Gauthier – qui avait eu, quelques années auparavant, un accident tout aussi absurde qui l’avait laissé quadriplégique – a aussi perdu la vie, son corps complètement usé par sa condition. C’était le 23 décembre 2016, deux jours après Dominique. Ce fut une bien sinistre période des Fêtes. Il n’y avait pas que mon vin qui était triste. Les morts ne souffrent pas, c’est le travail des vivants de le faire.

Plus tôt dans ma vie, il y avait déjà eu la mort de mon père, retrouvé dans sa chaise berçante préférée, en boxer. Il était rasé, son café coulait et paf, la faucheuse était passée sans s’annoncer. La chaise s’est arrêtée de bercer. Au moins, ici, on peut parler d’une belle mort : rapide et sans souffrance. Il fumait depuis l’âge de 12 ans, il est mort à 79 ans. Son show de boucane avait donc duré 67 années.

Je me souviens d’avoir fait une blague à ce propos au thanatopracteur, celui qu’on appelait à l’époque le croque-mort. Comme mon père avait tant fumé, je lui avais demandé un rabais sur l’incinération, puisque la moitié du travail était déjà faite !

Il n’a pas ri, mais connaissant mon vieux, il aurait lui-même rigolé pendant une semaine.

L’humour noir fait du bien, il dédramatise. On est doués pour la chose dans la famille.

Chaque jour on entend parler de la mort, particulièrement aux nouvelles, car la guerre est un terrain beaucoup trop fertile pour elle. On donne le compte des victimes un peu comme le pointage au hockey. La mort est omniprésente, elle rôde, mais ça reste un sujet qu’on évite. Quand il en est question, on préfère faire le mort.

Comme je l’ai côtoyée à maintes reprises, elle fait maintenant partie de mes pensées quotidiennes. Mais quelle absurdité que ce concept, quelque part ! Il y a un interrupteur qui se ferme, comme pour une ampoule. Un jour on est ON et le lendemain, on est OFF.

Les religions ont inventé toute une imagerie, souvent enfantine, pour nous faire accepter l’absurdité de la mort. Le choc est sans doute plus facile à encaisser avec ces pensées magiques.

Malheureusement, mon esprit cynique est imperméable à ces subterfuges. J’aimerais me lancer en sanglotant dans les bras réconfortants du bon Dieu, mais je n’arrive pas à y croire.

Bien sûr, on peut s’amuser à imaginer qu’un être aimé qui meurt est enfin « en haut », avec tous ceux qu’il a connus et qui l’attendaient aux portes du ciel, un verre de champagne à la main. Un 5 à 7 éternel avec le bon Dieu comme barman, qui paye des shooters quand de nouveaux trépassés viennent se joindre aux anciens.

La vie ne nous donne pas le temps de nous remettre de nos peines, le feu de nos deuils est constamment alimenté par de nouvelles disparitions. Peut-être doit-on attendre la nôtre pour finalement réussir à oublier celle des autres ?

Mes rêves m’aident beaucoup. J’alterne entre chacun de mes fantômes. Une nuit, je suis en spectacle avec Dominique, le lendemain, je pêche avec mon père et la nuit suivante, j’emménage dans une nouvelle maison avec André. Je rêve de passer du temps avec Benoît, mais son décès est trop récent et mon cerveau n’a pas encore totalement digéré sa disparition.

Profitons de ce mois des morts pour aborder le sujet sans détour. Je peux témoigner : en parler fait du bien. Qu’on le veuille ou non, la mort est là, bien présente, impossible de l’ignorer. Elle est sans contredit l’éléphant dans la pièce de nos vies et notre seule façon de la narguer est de croquer joyeusement dans chacun de nos jours en attendant notre place au 5 à 7 de l’éternité !

Qui est Dany Turcotte ?

  • Originaire du Saguenay, Dany Turcotte se fait d’abord connaître comme humoriste, au sein du Groupe sanguin au milieu des années 1980.
  • Après la dissolution du groupe, il poursuit sa carrière humoristique aux côtés de son complice Dominique Lévesque.
  • De 2004 à 2021, il est le « fou du roi » de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle.
  • Il a animé La petite séduction de 2005 à 2017.
Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue