Il y a deux moments dans l’année où on braque systématiquement les projecteurs sur les Autochtones : au solstice d’été, Journée nationale des peuples autochtones du 21 juin de chaque année, et aussi depuis trois ans, le 30 septembre, Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

Cette dernière journée se voulait l’une des 94 recommandations qui ont été faites dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, déposé en 2015, qui a, entre autres, fait la lumière sur le long et difficile épisode des pensionnats pour Autochtones au Canada, ainsi que ses conséquences.

Quoi qu’il en soit, à chacune de ces journées nationales, plusieurs Autochtones se voient offrir de nombreuses tribunes sous diverses formes : conférences, entrevues, formations ou autres évènements. Et c’est tant mieux. Une constante dans chacune de ces activités : la fameuse question sur l’évaluation de l’état de la réconciliation. Où en est-on ? Est-ce mieux ? On avance ? Que peut-on faire encore ?

La question, légitime, démontre de la sensibilité, de l’ouverture. Elle est importante. La réponse, elle, est toujours un peu plus délicate. Pour dire la vérité, j’ai parfois l’impression qu’on aimerait que je donne une note. Or, on ne peut changer tout un système, une façon de penser, en quelques années. Non plus, des excuses et quelques poignées de main de politiciens ne seront pas suffisantes.

Certains diront que, comme Premiers Peuples, nous ne sommes pas et ne serons jamais satisfaits. À cela je réponds que tous, ensemble, nous cheminons. C’est ce qui est important. Il y a des avancées notables, en ce qui concerne la société civile en particulier. J’y reviendrai.

Mais pour être capable de bien répondre à la question sur l’état de la réconciliation, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’elle est. Parce que, qu’est-ce que c’est, au fond, la réconciliation ? Quels sont les indicateurs sur lesquels on doit se pencher ?

J’ai posé la question autour de moi, à des Autochtones comme à des non-Autochtones, puisqu’une réconciliation, ça se fait à deux. Certains ont dit que c’était de meilleures conditions de vie pour les Premiers Peuples. D’autres, la reconnaissance de leurs droits ou la capacité de notre pays de reconnaître ses erreurs. D’autres encore, en majorité des membres des Premières Nations, que c’était une meilleure connaissance des cultures, de l’histoire et des réalités des Autochtones ou même de meilleures relations avec les gouvernements. Mais peu importe sous quel angle on regarde tout ça, la réconciliation semble être plusieurs éléments qui forment un grand tout.

Pour ma part, je vous répondrais que la réconciliation n’est pas une fin en soi, mais bien un cheminement, de tous les instants, en trois grandes étapes : l’éducation, la guérison et la réparation.

Pour mieux comprendre, un petit saut dans l’histoire.

PHOTO BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA

Des élèves en période d’étude au pensionnat indien catholique de Fort Resolution, dans les Territoires du Nord-Ouest

Quand les premiers explorateurs et les premiers colons se sont installés ici, ils avaient besoin des Premiers Peuples pour plusieurs raisons : survivre, trouver des ressources, être protégés. Ils ont donc créé des alliances. Puis, les années ont passé, les colons sont devenus plus à l’aise, plus nombreux. Le régime colonial est allé aux mains des Anglais qui, eux, ne voulaient non pas de la fourrure de castor, mais bien du bois, pour leurs bateaux et leurs guerres en Europe. Or, tout le monde sait que les arbres se trouvent sur le territoire. Et qui y avait-il partout sur le territoire ? Qui les empêchait de tourner en rond ? Les Premiers Peuples.

Ceux qui avaient été il n’y a pas si longtemps une bouée de sauvetage étaient devenus une nuisance. Dans l’histoire des relations entre les Autochtones et les gouvernements, on a appelé cet état le problème indien. Pour y répondre, le gouvernement a mis en place les réserves et la Loi sur les Indiens, loi toujours en vigueur aujourd’hui. Une loi archaïque, paternaliste, discriminatoire et colonialiste pour régir la vie des Premières Nations. Cette loi venait changer toute la vie des « Indiens » : leur système politique, le statut et le rôle des hommes et des femmes qu’on transformait à la sauce européenne, leur mode de vie, etc. Comme ce n’était pas assez, sans doute parce qu’on jugeait que ça prenait trop de temps, John A. Macdonald est venu ajouter les pensionnats indiens à l’ardoise. « Tuer l’Indien dans l’enfant », voilà un objectif clair, dénué de toute nuance.

Voilà, vous en savez plus déjà si vous n’étiez pas au courant de cette partie de l’histoire canadienne. Mais il en reste tellement à apprendre.

Depuis 1876 (ou 1867 si on prend la plus vieille version de la Loi sur les Indiens dont je tairai même le nom – vous irez chercher), les « Indiens » sont devenus un problème à l’expansion du Canada comme on le voyait.

Et si pendant longtemps on nous a invisibilisés, on a nié notre existence en accaparant des territoires comme si nous ne les avions jamais occupés, on a étouffé notre parole, les choses changent.

À toutes ces entreprises désireuses de faire leur part dans ce mouvement de rapprochement, qui offrent des conférences ou des formations à leurs employés, merci. À tous ces enseignants qui désirent inculquer une histoire plus juste et plus complète de ce pays, bravo. À tous les citoyens qui nous lisent, nous entendent, nous contactent pour créer des ponts, vous êtes la preuve que quelque chose se passe. Aux médias qui nous ont fait de la place, vous avez su faire une différence. Tout cela fait partie de notre guérison commune.

Reste la réparation. Là, nous n’y sommes pas encore. À voir comment le gouvernement du Québec (celui qui a le gros bout du bâton dans ce domaine) agit dans son entêtement à ne pas reconnaître le racisme systémique, le principe de Joyce, le droit aux communautés de s’occuper elles-mêmes de leurs propres enfants, ignorant nos réalités dans la foulée, on jurerait qu’on se trouve dans cette pensée gouvernementale héritée d’un autre siècle.

Mais les grands mouvements commencent toujours par la base, par le peuple. Et le peuple, lui, a compris quelque chose.