Dans la foulée de la mutinerie ratée d’Evguéni Prigojine en Russie, lire le plus récent livre de l’essayiste et député européen Raphaël Glucksmann est un exercice instructif et captivant.

« L’étoile de Prigojine pâlira un jour [...] et un autre “héros” prendra alors sa place à l’avant-garde de la croisade lancée contre nos démocraties », écrit l’auteur de La grande confrontation, essai arrivé en librairie avant le coup de force du grand patron des mercenaires du groupe Wagner.

Raphaël Glucksmann n’est pourtant pas devin.

Comment, alors, en était-il venu à cette conclusion au sujet de l’ex-bandit qu’il surnomme le « cuisinier du chaos » ?

C’est que « la subversion organisée par le régime russe n’est pas l’affaire d’individus démoniaques, mais une doctrine stratégique, une dynamique structurelle », explique-t-il.

Le « système politco-mafieux » dirigé par Vladimir Poutine produit des monstres en série. Il est comme une hydre. Vous coupez une de ses têtes et, le temps de le dire, une autre repousse.

Ce que l’auteur constate, aussi, c’est que la guerre est « l’idéologie nationale » de ce régime.

Le politicien russe Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, l’avait dit peu avant le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine.

Raphaël Glucksmann le cite et, pour sa part, démontre sans trop de mal à quel point ça s’est vérifié à de multiples occasions depuis que Vladimir Poutine est au pouvoir. De la première guerre en Tchétchénie à l’invasion de la Crimée, en passant par les exactions commises en Syrie, notamment.

Fait à noter : l’essayiste préside la Commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère. Il est donc bien placé pour expliquer en détail comment le régime russe est en guerre permanente contre les principes et les intérêts des démocraties.

Raphaël Glucksmann offre d’ailleurs une explication convaincante à cette guerre ouverte. C’est que le régime de Poutine est persuadé que « l’expansion du chaos à l’extérieur permet de remédier aux tensions intérieures », comme l’a déjà expliqué un ancien conseiller du Kremlin.

Mais dénoncer le régime russe n’est pas le seul objectif de l’essayiste. Il cherche aussi à nous faire comprendre que l’aveuglement de nos démocraties face à Poutine a duré beaucoup trop longtemps.

Par peur des répercussions politiques et commerciales, bien sûr. Mais aussi parce que plusieurs élus, en poste ou ayant quitté la vie politique, ont fait œuvre d’idiots utiles. Ils ont travaillé main dans la main avec le Kremlin, notamment en siégeant aux conseils d’administration de grandes entreprises russes.

Rappel utile : Vladimir Poutine n’est pas le seul autocrate à faire la guerre à nos démocraties.

Dans la dernière partie de son livre, Raphaël Glucksmann consacre plusieurs pages à la Chine. Il y déplore qu’on ait sensiblement la même mollesse face à Pékin que celle dont on faisait preuve à l’égard de Moscou avant l’invasion de l’Ukraine.

Les démocraties sont généralement « désespérantes de cécité et de faiblesses », soutient-il, « jusqu’à ce moment de bascule où elles se redressent, se mobilisent et prouvent au monde qu’aucun système n’est plus solide et plus juste que le leur ».

C’est à ce redressement qu’on assiste depuis la guerre en Ukraine. Il reste à espérer qu’il va se poursuivre.

Comme le démontre l’essayiste, les démocraties doivent cesser de vendre à leurs ennemis, par opportunisme ou naïveté, « la corde pour les pendre ».

Extrait

La guerre exige la redéfinition de la notion de réalisme et sa réappropriation par ceux qui ont la nuque assez raide pour ne pas passer leur vie à se regarder le nombril ou à baisser la tête face à l’ennemi. Œuvrer à la défaite totale de Poutine en Ukraine est réaliste. Défendre les Ouïghours déportés par une hyperpuissance autoritaire qui entend dominer nos économies et les échanges mondiaux est réaliste. Rompre avec la globalisation dérégulée qui a affaibli nos nations et renforcé nos adversaires est réaliste. Mettre en place l’écologie de guerre est réaliste. Accélérer la transition énergétique est réaliste. Nous avons les cartes en main. Saurons-nous les utiliser ? Aurons-nous la volonté et la force de changer ?

Qui est Raphaël Glucksmann ?

Raphaël Glucksmann est essayiste et député européen (il est l’un des politiciens qui ont fondé la formation politique française Place publique en 2018). Au Parlement européen, il préside depuis 2020 la Commission spéciale sur les ingérences étrangères dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation.

La grande confrontation — Comment Poutine fait la guerre à nos démocraties

La grande confrontation — Comment Poutine fait la guerre à nos démocraties

Allary Éditions

186 pages

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