Il est le compagnon d’armes de Richard Desjardins, quand celui-ci abandonne piano et guitare pour réaliser des documentaires. C’est le timide du tandem. L’effacé qui laisse toute la place au chanteur. Devant sa caméra, mais aussi devant celles des médias.

Depuis plus de 30 ans, soit depuis l’aventure initiatique de Comme des chiens en pacage, Robert Monderie et Richard Desjardins travaillent ensemble à temps partiel, mais sans jamais s’éloigner l’un de l’autre trop longtemps. Ils planchent sur des histoires qu’ils déterrent de leur Rouyn-Noranda natale et des forêts qui la ceinturent. Dernier film en lice : Le peuple invisible (en salle depuis hier). «En regardant Les zouaves et Les raquetteurs de l’ONF à l’époque, j’ai vu qu’on pouvait filmer simplement les gens, explique Monderie, presque en chuchotant. La plupart trouvaient ça quétaine. Trop réaliste aussi, mais c’est justement ce qui m’attirait. J’aime les fêtes populaires, les festivals, les orchestres western. J’aime le cinéma direct de Michel Brault et Gilles Groulx.»

«Cela dit, tout a changé en 30 ans, poursuit le documentariste. Depuis que la télé a pris le créneau du documentaire, on est d’abord dans l’intérêt humain. Nous, c’est le territoire qui nous intéresse et les compagnies qui sont au-dessus des lois. Depuis les débuts, c’est notre leitmotiv. Richard et moi prenions souvent un coup avec les journalistes de la station Radio-Nord (à Rouyn-Noranda), dans le temps. Un soir, on a appris que chaque fois qu’il y avait une mauvaise nouvelle sur la mine de Noranda, ils tenaient ça mort. C’est le patron qui s’occupait de ça!»

Depuis les années 70, en gars qui vient du bois, Monderie bûche donc pour une certaine justice, même si on gagne plus ou moins bien sa vie avec le documentaire. «Le peuple invisible m’a rapporté 40 000$ pour sept ans de travail, affirme-t-il. Une chance que j’ai une blonde, car je serais un sans-abri!»

Remarquez que les conditions sont nettement meilleures qu’à ses débuts. Depuis L’erreur boréale (1999), en fait. «Pour chaque documentaire, trouver du financement a été difficile, raconte le réalisateur de 59 ans. Jusqu’à ce que Richard Desjardins devienne célèbre et qu’il soit en mesure de faire pression sur les bailleurs de fonds.»
Heureusement, car il y a huit ans, Robert Monderie allait rendre les armes, «sinon pour des corpos pour des groupes communautaires». Mais il a reçu un appel de Desjardins. Le chanteur venait d’avoir une offre de l’ONF de laquelle a germé l’idée de raconter la triste histoire des Algonquins des réserves de l’Abitibi et du Témiscamingue. 

Avoir les deux mains dedans animait finalement trop Robert Monderie pour qu’il tourne le dos au documentaire. Surtout depuis qu’il a mis de côté la photographie, son premier métier. Il y a cinq ans. «Je n’en fais plus depuis que le numérique est institutionnalisé, dit-il. J’avais une façon philosophique de voir la photo. Le corps réel, les radiations, la lumière qui touche à l’être humain... Ça durait aussi 100 ans, une photo! Ça avait un sens pour l’avenir. On est dans l’instantanéité aujourd’hui.»

L’instantanéité et le coup d’éclat. Tel un Michael Moore à la recherche d’un témoignage-choc. Une façon de faire qui n’irrite pas Monderie cependant. «Manipuler fait partie de la game, juge-t-il. Grossir des faits, c’est faire des choix. Tout est subjectif dans la production d’un documentaire. On reproche ça à Michael Moore, mais ça fait partie de la vérité. Les gens veulent être soumis à notre mystification.»

On verrait toutefois mal Monderie briser des portes, pourchasser sans répit des sénateurs, lui qui préfère consacrer toute la pellicule à ses sujets et son Abitibi. Et ce, même s’il n’habite plus Rouyn-Noranda depuis longtemps.

Depuis un quart de siècle, en effet, le documentariste opère de Montréal. «À l’époque, j’ai quitté Rouyn à cause du manque de moyens de production. Mais c’est encore ma ville. Chaque fois que j’entends le mot Rouyn-Noranda, je me retourne.»