Ces dernières années, Marie-Sissi Labrèche et Guillaume Vigneault ont joué aux infidèles. Ils ont laissé de côté l'écriture de romans pour se consacrer au cinéma. La première pour adapter deux de ses livres. Le deuxième, pour créer de toutes pièces une histoire. Récit d'une aventure d'écriture pour le grand écran.

Marie-Sissi Labrèche croyait rêver en apprenant la nouvelle: quatre jours à peine après l'arrivée en librairie de La brèche, en 2002, le producteur Roger Frappier a acheté les droits d'adaptation de son deuxième roman. «Ça et un prix Nobel, c'était la même chose pour moi, lance la mitrailleuse de métaphores. Rien n'indiquait cependant à l'époque que j'allais adapter pour le cinéma.»

Les choses se sont produites aussi rapidement que naturellement. Une fois la rencontre avec la réalisatrice Lyne Charlebois provoquée, les deux femmes se sont entendues pour écrire à quatre mains. Pour convaincre également Frappier d'obtenir les droits de Borderline, premier roman de Labrèche. Question de bien raconter l'histoire de Kiki, personnage principal à la vie brisée et à la sexualité exacerbée. «On avait commencé à adapter La brèche, mais il manquait quelque chose», dit l'auteure.

Lyne Charlebois s'est tout sauf heurtée à un mur d'émotions en retravaillant pour le cinéma les textes de Marie-Sissi Labrèche. «J'étais habituée d'être dans ma bulle, raconte Labrèche. Mais là, c'était trippant d'échanger. Tout a coulé de source. C'est facile de travailler avec moi. Je ne suis pas du genre à me battre pour une virgule. Dans mes livres, il y a peu d'action. Je savais qu'il fallait créer du mouvement.»

Quand Guillaume Vigneault s'est attaqué au scénario de Tout est parfait, il a dû créer, point. Des personnages, des intentions, des déchirures, des dialogues... Le réalisateur Yves Christian Fournier avait l'idée d'une histoire de suicide, à la suite d'une rencontre au centre Portage avec un gars exclu d'un pacte mortel. Il fallait mettre de la chair autour de l'os. «J'ai pris deux semaines pour réfléchir à la proposition d'Yves Christian, car je trouvais le sujet gros et grave, raconte Vigneault. Aussi car j'avais fait l'erreur d'accepter dans le passé des commandes, des projets qui ne faisaient rien résonner en moi, avec des personnages qui mènent des combats qui ne m'intéressent pas. Là, au bout de deux semaines, il me venait des idées, une galerie de personnages.»

L'auteur de Carnets de naufrage a écrit le scénario de Tout est parfait pendant un an et demi. «Mais pas 24 heures sur 24, note-t-il. J'ai travaillé par à-coups, car il faut présenter différents documents quand on écrit un film. La mécanique de développement en cinéma est plus collaborative. Et il faut être capable de prendre les commentaires de tous et chacun en cours de route.»

Habituellement, l'auteur fait le moine quand il est en pleine rédaction de roman. «Je commence par le premier paragraphe et les autres suivent dans l'ordre. Je suis alors dans la shop. Je rabote. Je sable. C'est de l'orfèvrerie. C'est un produit fini que je fais. Je ne fais qu'un premier jet, mais très lentement. Je peux me battre avec une phrase deux heures. Tandis qu'en cinéma, il y a plein d'escales. Je cherche vraiment chaque scène, mais, une fois trouvée, ça va vite.»

Décorer les images

Le cinéma étant un médium d'images, ses auteurs peuvent en principe être moins bavards. Cela dit, une attention toute particulière est accordée aux descriptifs de lieux et d'action dans le scénario. «Il faut trouver des gestes qui parlent pour éviter une surabondance de narration, estime Vigneault. Il faut trouver l'image, donner à voir tout en essayant d'être économe. J'espère que ça va se traduire dans mes romans désormais.»

«Dans le scénario de Tout est parfait, je parle des regards, des gestes non complétés, des hésitations, ajoute l'auteur. Les descriptifs d'action sont très importants, car il y a beaucoup de silences. Il y a du matériel au-delà du «Passe-moi le sel». Avec ce film, on s'inscrit plus dans la tradition Ken Loach et Gus Van Sant.»

Il faut prendre le temps de décrire tout en évitant de passer par quatre chemins, pense Marie-Sissi Labrèche. Dans La brèche, Tchéky, le prof de littérature marié avec qui Kiki a une liaison, est loin d'être un canon de beauté. Dans le film de Charlebois, Tchéky a les traits de l'acteur français Jean-Hugues Anglade... «Au cinéma, ce doit être plus rapide, explique Marie-Sissi Labrèche. Il fallait faire comprendre assez vite pourquoi Kiki est tombée amoureuse de Tchéky.»

Après avoir pondu un scénario original, Guillaume Vigneault s'attaque maintenant à l'adaptation cinématographique des récits de Sympathie pour le diable du journaliste Paul M. Marchand et de son roman Chercher le vent (qui sera réalisé par Pierre Houle). «Au départ, je ne voulais pas m'en mêler. J'ai pris un poste de conseiller. Mais Pierre dit qu'il est pourri en dialogues!»

Chercher le vent, le film, sera-t-il un mot pour mot du roman? «Je suis le premier à en décoller, répond Vigneault. Je ne veux pas que le film soit un hommage au roman. Déjà, au moment où je l'ai écrit, ce n'était plus ce que je vivais. Je regarde maintenant ma vie de façon objective. Écrire pour le cinéma est une façon de revisiter et d'améliorer Chercher le vent. Cela dit, je ne trahis pas le livre.»

Au moment d'adapter pour le cinéma ses romans en partie autobiographiques, Marie-Sissi Labrèche était ailleurs aussi. «Ce sont des bébés que j'ai donnés. Je ne suis plus la fille qui a fait ces livres.»

L'auteure a déjà plusieurs autres projets de scénarios en tête et espère refaire équipe bientôt avec Lyne Charlebois. «Nous sommes les duchesses du carnaval de l'idée!»