Nous quittons dimanche matin la ville d'El Facher en direction d'El Geneina, capitale du Darfour Ouest. À travers la vitre du hublot, je n'arrive pas à décrocher mon regard du paysage et des gens, comme des petites billes de couleurs au milieu du désert.
 
Jusqu'à maintenant, l'expérience de tournage au Darfour est vraiment différente de ce que j'anticipais. D'abord parce que c'est ma première expérience documentaire.  Tout un baptême je dois dire! J'ai assuré la prise de son pour les trois premiers jours de tournage et je ferai les entrevues pour les deux prochaines semaines. J'ai l'impression de devoir assimiler en quelques jours les rudiments d'un nouveau métier. Mais plus que le côté technique, c'est l'approche avec les Darfouris déplacés qui me déstabilise.
 
Au fil des entrevues au camp d'El Salaam, nous avons pris conscience de la difficulté que représente le fait d'emmener les gens à être replongés dans certains souvenirs douloureux. Je réalise que beaucoup d'entre eux auront mis des mois, voire des années à reconstruire leur univers et leur famille. 
 
La dernière femme avec laquelle nous travaillons avant de quitter El Fasher s'appelle Awa. Elle nous raconte avec émotion la semaine qu'elle a passée, à son arrivée au camp d'El Salaam il y a 4 ans, à chercher son fils de 9 ans duquel elle avait été séparée après les attaques qui ont obligé sa famille à quitter leur village. Elle nous explique qu'elle doit avoir été la première à connaître le camp par coeur ayant dès son arrivée fouillé tous les endroits et recoins possibles du camp de 50 000 habitants. Elle nous confie qu'elle se sent humiliée par le fait d'être devenue dépendante de l'aide humanitaire. Mais surtout, elle nous parle des grands espaces qui lui manquent. Des fruits et des légumes desquels elle se surprend parfois à rêver.
 
Et plus l'entrevue avance, plus je sens l'épaisse carapace de la femme 35 ans s'effacer, pour laisser parler une douleur bien personnelle.
 
J'observe la scène un peu à l'écart et je me dis que tout un monde nous sépare. Nous d'un côté, chargés d'une tonne de matériel et d'équipement, les voitures de l'UNICEF qui nous attendent à la sortie de la hutte. Venus de l'autre bout du monde avec notre envie de porter un message. Un message qui nous dépasse complètement.
 
Et elle. 
 
Elle et ses 9 enfants et 7 petits-enfants qui attendent dans la cour et qui tendent l'oreille pour comprendre ce qui peut bien se passer entre les quatre murs de paille de leur maison, pour que leur mère soit soudainement devenue le centre d'attraction de la journée.
 
Et leur vie.
 
Leur vie qui restera en attente. En attente de mieux. Parce que c'est le goût que j'ai aujourd'hui des camps de déplacés.
 
Des centaines de milliers de gens qui marchent sur des fils de fer, ne sachant pas de quel côté balancera leur vie.
 
Et ils ne sont pas les seuls. En Éthiopie. En Afghanistan. À Haïti. (...)  Etc.
 
Des tas de gens attendent sur ces fils de fer.
 
À bientôt.
 
Merci de nous lire encore une fois. 
Stéphanie.
 
Pour plus d'information, visitez le site de l'UNICEF à : www.unicef.ca