Douze. Douze personnes à la table des conférences pour défendre Che, ce diptyque d'une durée de 4 h 30, réalisé par Steven Soderbergh. D'entrée de jeu, le cinéaste, pince-sans-rire, a lancé que la mise en chantier de ce projet, qui a mis sept ans à se concrétiser, n'était en fait qu'un leurre. «Il s'agit simplement pour nous d'un moyen très sophistiqué de vendre nos propres t-shirts!»

Tout le projet, d'une grande ambition, part un peu de cette boutade, en fait. Dans les pays occidentaux, Ernesto Guevara, dit le Che, est en effet bien souvent réduit à cette image «de t-shirt», sans que nous sachions vraiment grand-chose de la vie du révolutionnaire.

«Le Che représente différentes choses pour différentes personnes dans différents pays, commente l'historien Jon Lee Anderson. Je dirais qu'il était la figure emblématique de l'époque de la guerre froide.» Au départ, Steven Soderbergh avait surtout l'intention de raconter l'épisode bolivien de la vie du Che, beaucoup moins connu et beaucoup moins glorieux. Cet épisode constitue aujourd'hui la deuxième partie de son diptyque.

«Je me suis d'abord intéressé à Guevara parce que sa vie est un récit de cinéma, explique le cinéaste. Peu importe ce qu'on pense du personnage, son parcours demeure exceptionnel. Ce n'est pas tant ses années à Cuba qui m'intéressaient que le parcours de cet homme. Or, pour mettre l'épisode bolivien en contexte, il fallait impérativement faire aussi écho à ce qui s'est passé 15 ans plus tôt à Cuba. Il fallait raconter l'ascension avant de montrer la chute.» Ainsi est née l'idée d'un diptyque. Deux films, différents de ton et de facture, entièrement tournés en langue espagnole, dans lesquels tout épanchement hollywoodien serait proscrit.

La recherche fut exhaustive mais le scénariste Peter Buchman a finalement livré, selon la volonté de Soderbergh, un scénario dépouillé de tout moment «arrangé avec le gars des vues».

«De mon côté, ajoute Benicio del Toro (l'interprète du Che), plus j'en apprenais sur le Che, plus j'avais le regard d'un cerf qui se fait surprendre par les phares d'une voiture la nuit. Heureusement que Steven m'a donné des échéances précises car je crois qu'autrement, jamais je n'aurais été prêt!»

Dans l'esprit de Soderbergh, il n'a par ailleurs jamais été question de tourner ces films dans une autre langue que celle de Cervantes.

«D'abord, c'était la moindre des choses sur le plan de la crédibilité, dit-il. C'est aussi par respect pour les différentes cultures auxquelles je m'intéresse en tant qu'étranger. Quand je vois des cinéastes américains tourner en anglais une histoire propre au pays dans lequel ils tournent, cela me sidère à chaque fois. J'ose espérer que cette forme d'impérialisme culturel cessera un jour.»

Quant aux voix qui s'élèvent contre le fait qu'on ait même pu oser songer à réaliser un film sur la vie du Che, Soderbergh prend les choses avec philosophie. «Même si nous avions présenté le Che en train de commettre des actes barbares, ceux-ci ne seraient jamais à la mesure de la haine que lui portent certaines personnes. Les événements auxquels font habituellement référence ces gens ont eu lieu à une époque qui n'est pas traitée dans le film. Personnellement, le Che m'intéresse dans toute sa complexité, mais, en tant qu'étranger, je n'ai aucun lien émotif avec lui. Cela dit, je suis quand même intrigué par le fait que cet homme ait abandonné tout de sa vie deux fois pour se mettre au service de ses idéaux.»

Toujours sans distributeur américain (ni canadien), on ne sait pas encore quel sort attend ce diptyque sur notre continent, ni sous quelle forme il risque d'être proposé au public. «Idéalement, j'aimerais que ce diptyque prenne l'affiche en entier pendant la première semaine d'exploitation, et qu'il soit ensuite proposé en deux parties pour le reste de sa carrière commerciale en salle, a déclaré Soderbergh. Évidemment, cela ne pourra probablement jamais se faire. Mais puisque nous avançons ici en de nouveaux territoires sur le plan de l'exploitation, pourquoi pas?»