Pour son troisième long métrage, Ricardo Trogi tourne sa caméra sur sa propre vie, sa propre famille, sa propre préadolescence. Mille neuf cent quatre-vingt-un, c'était l'année de ses 11 ans. Il nous la livre sur un plateau... de tournage.

Un quartier paisible de Saint-Hilaire. La rue des Peupliers se dore sous le soleil automnal. Et, en ce mi-temps de la journée, hier, festival de la tondeuse. Comme s'il fallait profiter du «Coupez!» lancé à une heure qui est celle du lunch pour retrouver «la vie normale». Parce qu'ici, depuis le 8 septembre et jusqu'au 20 octobre, on tourne. On tourne Mille neuf cent quatre-vingt-un de Ricardo Trogi.

Un film très personnel, plus personnel que Québec-Montréal et Horloge biologique. Un film où le réalisateur, qui, ici, a également agi comme seul scénariste, braque sa caméra sur l'année où sa famille s'est installée en banlieue de Québec. C'était aussi l'année où la récession a frappé, fort. Lui, avait 11 ans et une identité à se forger.

À 38 ans, il a eu envie de raconter cette étape de sa vie. «Pourquoi? Mais parce que tous les grands films de ce monde ont été faits à partir de ce genre de matériel!» lance Ricardo Trogi en riant. Et d'expliquer qu'il en était à quelque 80 pages d'un scénario quand le désir de raconter cette histoire, la sienne, s'est imposé. Si fort qu'il n'a pu lui dire non. Il a écrit 160 pages en deux semaines. Et a ensuite dû faire des choix.

Difficile. Parce qu'en général, les coupures s'imposent. «Mais un film comme celui-là est un amoncellement de détails, une accumulation de petits riens.» Rien n'est essentiel. Et tout l'est. L'obsession, par exemple, qu'il a développée pour le catalogue de Distribution aux consommateurs. Ou pour les K-ways rouges. Ou pour le groupe Kiss. Comment, alors, décider lesquels pousser sous le tapis? Ricardo Trogi a fait lire le scénario à sa soeur, elle aussi témoin de cette époque. À sa fidèle productrice, Nicole Robert. À des amis. Leurs commentaires ont été son carburant pour prendre et suivre cette route-là.

Et, entre autres, pour trouver des acteurs qui prêteraient leurs traits à ses parents. Et à lui-même. Mais il n'a pas privilégié la ressemblance physique. Plutôt, la similitude dans l'énergie.

«Par exemple, chez moi, c'était ma mère, l'Italienne», lance-t-il. Elle s'appelle pourtant Claudette, et elle s'exprime avec un accent de la Côte-Nord que la comédienne Sandrine Bisson a fait sien. Italienne, dans sa volubilité, sa façon de donner des ordres. De mener sa famille à la baguette. «Je suis plus douce et timide, mais je peux très bien comprendre le personnage tant il est bien écrit», fait la comédienne de Québec. Le père, lui, italien dans le sang, est un homme de peu de mots... qu'incarne le très verbomoteur Claudio Colangelo. Il a passé une audition à Paris. Ça a cliqué. Le déracinement façon Benito Trogi, il a connu: «J'ai quitté l'Italie pour la France à 26 ans», indique-t-il.

Entre les deux adultes, Jean-Carl Boucher, que l'on vient de voir dans Un été sans point ni coup sûr. Là, il y a ressemblance physique avec le Ricardo Trogi de 1981. Et affinité d'esprit, indubitablement. Il faut les voir se pencher sur l'ordinateur portable pour discuter d'une réplique. Ou s'isoler pendant les pauses pour jouer une partie de... Pacman. Années 80 quand tu nous tiens! «C'est moins pire que 1969», fait le garçon qui a goûté à la dernière dans le film de Philippe Falardeau. «Là, j'avais eu un choc. Maintenant, je suis immunisé. Surtout que tout est plus hot dans les années 80... à part les vêtements. C'est un non dans les deux cas.» Du talent, de la sagesse, du goût. On l'adopte!