Depuis quelques années, sur scène et à la radio, Fred Pellerin raconte son village, Saint-Élie-de-Caxton, en donnant à ses récits des airs de contes et légendes. Luc Picard a pris le relais en matérialisant une partie de l'oeuvre du conteur sur grand écran. Voici l'histoire de Babine, le fou du village.

La rencontre de Luc Picard et Fred Pellerin pourrait bien, un jour, constituer un chapitre des charmantes histoires du conteur de Saint-Élie-de-Caxton. C'était à l'été 2007. Le projet de film Babine, réalisé par Picard et scénarisé par Pellerin, d'après un spectacle de 2001 intitulé Il faut prendre le taureau par les contes, venait d'avoir l'aval financier de Téléfilm Canada. Le réalisateur, qui n'avait entendu jusque-là que la voix au téléphone du blond conteur, a décidé de faire un saut par chez lui. «Déjà qu'il débarque à Saint-Élie, il a gagné des points», avoue Fred Pellerin.

Luc Picard n'est cependant pas arrivé seul. Son chien l'accompagnait. «En entrant chez moi, le chien a vomi, se souvient Pellerin. On a donc torché le vomi ensemble. Ça part une relation sur de vraies bases! Après, Luc m'a dit: on a eu le fric pour le film. Là, on est pognés pour le faire!»

Mettre des images sur les histoires aux allures de légendes de Pellerin n'est, en effet, pas une mince affaire. Avec un budget de 6,3 millions, il était évident, dès le début de l'aventure, qu'il faudrait faire des miracles pour raconter dignement Babine (qui a nécessité 200 plans d'effets visuels). «Ce long métrage est un film d'art», estime Vincent-Guillaume Otis, qui incarne le personnage-titre.

Ajoutez au scénario une langue aussi belle que singulière... Les dialogues, qui n'appartenaient jusque-là qu'à Pellerin, allaient-il passer sans obstacles dans la bouche des personnages sur grand écran? «La langue du film est attendrissante, note Picard. Les dialogues fonctionnaient comme une partition, même si la langue est riche et particulière.»

«Les textes de Fred ont des allures de contes traditionnels, mais sa façon de les amener est contemporaine, explique Marie-Chantal Perron, qui incarne une villageoise de Saint-Élie, où se déroule Babine. Ça ne nous empêche pas d'être touché, car c'est fondamentalement humain. J'aime sa poésie. Elle n'est pas dure à mettre en bouche. Elle est très précise.»

Campée sans surprise dans le village qui a vu grandir Fred Pellerin, l'histoire de Babine tourne autour d'un déficient léger de 20 ans injustement accusé de l'incendie de l'église. Mais Babine, c'est aussi l'histoire d'une communauté qui vit dans un espace-temps qui n'est pas le nôtre. Où les montres se font rares, où les pages des calendriers s'ouvrent sur de drôles de dates, où les arbres poussent très rapidement, où les femmes peuvent décider quand elles accouchent et où on peut s'adonner à la pêche dans des étangs remplis de quenouilles plutôt que d'eau. «Fred te fait voir tous les mondes possibles», juge Vincent-Guillaume Otis.

«Le temps du conte est un temps parfait, explique Fred Pellerin. Il n'y a pas de balises. C'est un temps où toute la magie est possible.»

La convention plaît énormément au conteur, qui estime que notre monde est inutilement réglé au quart de tour. «Le temps, c'est de l'argent, dit-il. Tout est calculé. Tout est en profits, en pourcentages, en Dow Jones, aujourd'hui. On s'enquiert tout le temps du prix du pétrole. Où veux-tu rêver là-dedans? Il n'y a pas de pogne après des chiffres pour rêver.»

À écouter le réalisateur, le scénariste et les comédiens, Babine est un film aux couches multiples. «Ce film est un message sur la tolérance et le respect des autres, explique Vincent-Guillaume Otis. C'est aussi une ode à l'enfance, car Babine est un grand enfant. Il est comme un être humain parfait, car il n'a aucune malice. Il est en quête d'amour absolu, mais sans aucun machiavélisme.»

«J'aime la candeur des personnages, poursuit Luc Picard. Il n'y a pas de jugement dans ce village, un peu comme chez les Gaulois d'Astérix. Et Babine est l'incarnation de cette innocence. Il fait aussi figure de sacrifice. Il y a quelque chose de religieux dans le film.»

Imposer des images

La transposition au cinéma aurait pu être un pari risqué, car avec Babine, le film, on fige en quelque sorte l'imaginaire de Fred Pellerin. On impose des visages à ses personnages, des décors de studio à Saint-Élie-de-Caxton. «Ce Babine est une autre version, simplement, estime Pellerin, qui a suivi avec plaisir toutes les étapes de la réalisation du film. Mes histoires évoluent tout le temps en spectacle. Le film enrichit donc le répertoire des versions possibles. On y retrouve quand même une partie du délire que j'ai sur scène.»

«Quand on m'a offert de réaliser Babine, je ne connaissais pas Fred, raconte Luc Picard. Je tenais à lui parler avant d'accepter. Était-il à l'aise avec le fait de se faire déposséder? J'ai mis la main au scénario, mais avec respect.»

Avec respect, mais en tenant mordicus à pondre quelque chose hors du commun. Et qui touche rarement à terre. D'ailleurs, se permet-on assez de rêver au cinéma, ici? «Oui, répond Vincent-Guillaume Otis. Le cinéma québécois est si foisonnant. Même les films très réalistes peuvent nous faire rêver par la suite.»

«On rêve souvent, mais mal, estime toutefois Luc Picard. J'ai trippé sur les Star Wars, mais le rêve pour le rêve ne m'intéresse pas. Il faut que ce soit émouvant.»

Babine prend l'affiche le 28 novembre.