Le mode de sélection dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère est particulier. Pour en expliquer le fonctionnement, La Presse dispose d’un témoin privilégié. Le producteur québécois Roger Frappier a participé activement au processus cette année. Mais ne lui demandez pas de prédiction…

Incendies ayant été retenu parmi les cinq finalistes dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, il convient de rappeler toutes les étapes que le film a déjà franchies afin de mesurer le chemin parcouru. Dans cette catégorie, chaque pays, peu importe l’importance de sa cinématographie, soumet un seul titre aux membres de l’Académie. Le Canada a choisi le film de Denis Villeneuve et a gagné la mise. La France a misé sur Des hommes et des dieux et a mordu la poussière.

Soixante-six pays se sont retrouvés sur la ligne de départ. Pour établir une première sélection de neuf demi-finalistes, l’Académie recrute quelques centaines de membres et les sépare en quatre groupes: rouge, blanc, bleu et vert. Roger Frappier faisait partie du groupe des verts cette année.

«À vue de nez, je dirais que nous sommes une bonne centaine par groupe, explique-t-il. Notre mandat est de visionner 16 ou 17 des films soumis par les différents pays. Nous choisissons notre groupe selon nos disponibilités. Le groupe des rouges visionnait des films le vendredi soir. Nous, les verts, c’était le samedi matin. Nous obtenons la liste des films seulement après avoir choisi le groupe dont on veut faire partie.»

Des règlements stricts
Roger Frappier n’est pas en mesure de décrire les critères qui déterminent la composition du programme des visionnements, mais il a pu remarquer certaines caractéristiques.

«Les films étant soumis par les comités nationaux, il y a fort à parier que, pour la majorité d’entre eux, les organisateurs n’ont pu les voir au préalable. J’ai l’impression qu’ils composent le menu en diversifiant les provenances géographiques. Ils doivent aussi tenir compte de la durée des films. Une chose est certaine: l’exercice est fait de façon très sérieuse.»

L’académicien qui participe au processus de sélection doit avoir vu au moins 75% du film pour exercer son droit de notation. Il doit aussi avoir vu au moins 80% des films projetés à l’intention de son groupe pour que son vote compte. Le cahier de notation de chaque académicien demeure la propriété de l’Académie. C’est-à-dire qu’il est remis à l’académicien pour notation sur place. Et seulement lorsque les critères ont été respectés.

«Un académicien a aussi accès aux films projetés pour d’autres groupes s’il le désire, ajoute le producteur québécois. S’il a vu 80% des films d’un autre groupe, son vote peut également être comptabilisé dans le groupe auquel il n’était pas inscrit au départ. J’ai l’impression que plusieurs exercent ce droit.»

Système de points
Le bulletin comporte quatre chiffres. Les demi-points ont été acceptés pour la première fois cette année.

«10 veut dire que le film mérite l’Oscar; 9, qu’il s’agit d’un candidat sérieux; 8, que le film est bon; 7, qu’il n’a pas d’affaire là! explique Roger Frappier. Le tout premier groupe à avoir eu droit à un visionnement a été celui des rouges, le 15 octobre dernier. Et il s’adonne que c’est Incendies qui a ouvert le bal ce soir-là!»

Les neuf films qui ont obtenu le plus fort pointage, peu importe le groupe, ont été retenus parmi les demi-finalistes. Deux autres comités – un contingent de 20 personnes à Los Angeles et de 10 à New York – ont ensuite choisi les cinq finalistes: Biutiful (Mexique), Dogtooth (Grèce), Hors-la-loi (Algérie), In a Better World (Danemark) et Incendies (Canada).

«Certains des membres qui ont participé au premier tour participent aussi au deuxième, indique l’académicien. On m’a d’ailleurs demandé de faire partie de ce nouveau comité, mais j’ai dû décliner l’offre à cause d’un conflit d’horaires. Ces gens posent néanmoins un regard frais sur la sélection, vu que les neuf films retenus n’ont pas nécessairement été présentés à leur groupe.»

Pour participer à l’exercice, il faut disposer de beaucoup de temps. D’où cette idée très répandue que les comités sont composés d’académiciens à la retraite.

«Il est vrai que la plupart des gens qui font partie de ces comités sont des retraités, reconnaît Roger Frappier. Et cela n’est pas du tout méprisable. Ce sont tous des passionnés qui ont consacré leur vie entière au cinéma. Il suffit de jaser un peu avec eux pour se rendre compte qu’ils aiment ça. Profondément.»

Le travail des comités étant fait, tous les membres de l’Académie – ils sont plus de 5000 – peuvent maintenant exercer leur droit de vote, pourvu qu’ils prouvent qu’ils ont vu les cinq films en lice.

«Maintenant, c’est comme une campagne électorale qui se joue sur le terrain, conclut Roger Frappier. Il faut faire sortir le vote!»