Le cinéaste espagnol Pedro Almodovar, présent à Cannes pour la cinquième fois, se lance dans le thriller chirurgical avec La Piel que habito et les expériences démentes d’un chirurgien amoral qui se venge des épreuves de la vie.

Dix-huitième film du réalisateur, La Piel que habito (La peau dans laquelle je vis) est adapté d’un polar du Français Thierry Jonquet, Mygale, et inaugure un nouveau genre pour Almodovar, deux fois primé sur la Croisette mais auquel la Palme d’Or a échappé pour l’instant.

Antonio Banderas, qui retrouve le cinéaste de la Movida 21 ans après leur première collaboration pour Attache-moi, campe un chirurgien esthétique qui se venge des épreuves de la vie - la mort de sa femme et le viol de sa fille - sur un jeune homme qu’il enlève et transforme en femme en lui offrant les traits et le corps enviables d’Elena Ayana.

On retrouve également une des comédiennes de «la bande à Pedro», Marisa Paredes, qui joue deux rôles, la mère et la majordome brésilienne de ce monstre clinique et froid, totalement amoral, et de son frère. Une progéniture également déjantée.

C’est la première fois qu’Almodovar se lance dans un thriller, un genre éloigné de ceux expérimentés précédemment, la comédie ou le mélodrame, mais qui «convient bien à (sa) vie en ce moment». «Mais j’aurais été incapable de m’en tenir aux seuls codes du thriller», a-t-il indiqué jeudi.

«J’ai voulu travailler à la manière de Fritz Lang et j’avais même envisagé un temps de filmer en muet et en noir et blanc. Mais finalement, j’ai voulu faire mon film à moi, d’un genre un peu indéfini», a ajouté le cinéaste espagnol, Prix de la mise en scène en 1999 pour Tout sur ma mère et Prix du scénario pour Volver en 2006.

Et puisque le personnage de Banderas, Robert, a conduit d’ambitieux travaux sur la peau artificielle pour nourrir son noir dessein, Almodovar a fait de nombreuses recherches avec son frère sur la transgenèse et la médecine génétique.

«Mon film peut ressembler parfois à de la science-fiction mais c’est déjà en partie la réalité, avec les expériences transgéniques et le décodage du génome humain», a-t-il relevé. «Heureusement que dans nos sociétés de tels travaux sont bien enacdrés par les lois sur la bioéthique».

Almodovar revendique également l’influence du film du Français Georges Franju, Les Yeux sans visage (1959), mais il est resté au technicolor qui lui va si bien, soignant les décors et le grain de peau de son héroïne qui, face au chirurgien fou, déploie des trésors d’ingéniosité et de force intérieure pour survivre.

En revanche, il a limité l’emploi de l’hémoglobine: «Il y a beaucoup d’incisions dans le film, mais pas de sang. On comprend ce qui se passe, sans voir», insiste Almodovar.

«Pedro m’a interdit de sourire pendant tout le tournage», a raconté pour sa par Antonio Banderas, qui juge son personnage «psychotique, incapable de la moindre empathie avec la douleur d’autrui». «Je l’ai joué à l’économie, et ce n’est qu’au fur et à mesure qu’on s’aperçoit à quel point il est tourmenté», a-t-il dit.