À l'occasion de la présentation de Liv & Ingmar au Festival des films du monde (FFM), Liv Ullmann évoque sa relation riche et complexe avec Ingmar Bergman, étalée sur quelques décennies. Entretien.

Liv Ullmann a d'abord reçu une lettre, assortie d'un poème. Le jeune cinéaste indien Dheeraj Akolkar l'informait de son intention de réaliser un long métrage documentaire - son premier - dont le sujet serait la relation exceptionnelle qu'elle a entretenue pendant des décennies, sous de multiples facettes, avec Ingmar Bergman. Elle a dit non.

«Honnêtement, je ne m'en sentais pas capable, confie-t-elle au cours d'un entretien accordé à La Presse. Je ne comprenais pas vraiment la démarche de Dheeraj non plus. Puis, son producteur m'a appelée. Il m'a demandé si je pouvais quand même consentir à rencontrer le réalisateur. J'ai accepté l'invitation par courtoisie, tout en maintenant mon refus de participer au film. J'ai aimé notre conversation. J'ai surtout aimé son écoute. Dheeraj parle un langage qu'Ingmar aurait certainement apprécié. J'ai finalement consenti à l'aventure en lui offrant deux jours d'interviews dans l'île de Faro. Mais je n'ai rien à voir avec ce film. Tout vient du réalisateur. Telle a été mon attitude dès le départ et encore aujourd'hui. Le fait d'être présente à ses côtés au festival indique toutefois à quel point j'apprécie ce qu'il a fait!»

Une relation complexe

Liv & Ingmar explore la complexité d'une relation entre deux êtres intimement liés, tant sur le plan artistique que personnel. Dix films ensemble. Parmi lesquels quelques chefs-d'oeuvre. Une union amoureuse, de laquelle est née une fille, une rupture, une amitié indéfectible, un parcours commun.

«Je n'avais jamais auparavant remarqué à quel point les films que nous avons tournés ensemble étaient révélateurs de notre propre relation à l'extérieur du plateau, explique l'actrice, auteure et réalisatrice. J'avais toujours eu l'impression qu'il s'agissait de deux mondes distincts. Or, Dheeraj propose un autre regard, avec une autre perspective. Je ne sais pas où se situe la vérité, mais je sais que je peux difficilement faire confiance à ma propre vérité. Parce qu'elle est trop colorée par mes propres sentiments. Cela dit, je me sentais tellement en confiance pendant ces deux jours d'interviews que j'ai dit des choses que je n'avais jamais révélées. Et j'ai aussi découvert des trucs que j'ignorais!»

Aux côtés de l'icône, le réalisateur Dheeraj Akolkar explique que l'idée du film lui est venue quand il a lu un passage écrit par Liv Ullmann dans un bouquin. L'actrice indiquait avoir su que son destin serait lié à celui d'Ingmar le jour où la mère de ce dernier est morte.

«Le film, c'est ça, dit le cinéaste. Tu peux être l'âme soeur de quelqu'un sans vivre sous le même toit, sans lui parler ou le voir tous les jours. C'est ce que j'ai ressenti à travers cette relation. Et c'est ce que j'avais envie de raconter. Même s'il y a eu une rupture douloureuse, l'amitié reste toujours là. Chacun a reconstruit son monde de son côté, mais il reste toujours un univers commun. C'est ça qui est beau. Il n'y avait aucune affiche de film dans la maison. Seulement une photo, accrochée face au lit dans lequel Ingmar a dormi pendant ses dernières années. Une image tirée de Saraband. On y voit Liv et Erland Josephson se toucher le front. Si vous remarquez, Liv est aussi seule dans le dernier plan du tout dernier film d'Ingmar. Cela ne relève pas d'une simple coïncidence. Une relation exceptionnelle comme celle-là mérite une célébration.»

Un échange

À la séance de mardi, au FFM, Liv Ullmann est restée dans la salle pour voir le film et répondre ensuite aux questions du public.

«Je ne revois jamais les films, dit-elle. Mais j'ai aimé partager cette expérience avec le public. J'ai d'ailleurs trouvé fascinante la période d'échange après la projection. Plusieurs femmes se sont levées. Elles n'ont pas posé de questions, mais elles se sont mises à parler d'elles, de leur propre vie. Visiblement, elles pouvaient s'identifier à ce que nous avons vécu.

«Et puis, poursuit-elle, certains extraits m'ont donné envie de revoir des films en entier. La honte, par exemple. Ou Cris et chuchotements. J'aimerais les revoir, plus détachée de l'état d'esprit qui nous animait au moment où nous les avons tournés. Je constaterais peut-être à quel point Ingmar parlait aussi de notre propre relation dans ses films. C'est ce que soutient Dheeraj dans le sien, en tout cas!»

Un cadeau n'arrivant jamais seul, Liv Ullmann signera bientôt la mise en scène d'Oncle Vania (Tchekhov) pour un théâtre en Norvège et entreprendra bientôt le tournage de Mademoiselle Julie (Strindberg), film dont elle signe l'adaptation et la réalisation. Ensuite, elle travaillera avec deux des plus réputés producteurs de Broadway pour monter Une maison de poupée (Ibsen) à New York.

«Je ne sais pas pourquoi tous ces beaux cadeaux arrivent à cette étape de ma vie, dit-elle. Mais je ne pourrais être plus comblée!»

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Liv & Ingmar fera probablement l'objet d'une représentation supplémentaire au FFM. Annonce à venir.