Figure emblématique du milieu underground montréalais, Martin Dubreuil passe souvent sous le radar des grands médias, malgré son statut d'acteur fétiche du cinéma d'auteur. À quelques jours de la sortie d'À tous ceux qui ne me lisent pas, un film inspiré de la vie du poète Yves Boisvert, nous sommes allés à la rencontre d'un artiste qui revendique sa marginalité.

«Crisse, c'est moi! C'est ma vie, on dirait!», s'est exclamé Martin Dubreuil quand il a lu le scénario que Yan Giroux lui avait fait parvenir. Pour écrire À tous ceux qui ne me lisent pas, son premier long métrage, le cinéaste s'est librement inspiré de la vie du poète d'esprit chaouin Yves Boisvert. Disparu il y a six ans, ce dernier, qu'on ne doit pas confondre avec son homonyme de La Presse, doit notamment sa renommée à son triptyque Cultures périphériques, duquel fait notamment partie La pensée niaiseuse ou les aventures du comte d'Hydro, ainsi que pour avoir cofondé le Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Martin Dubreuil a pourtant eu l'impression de lire sa propre histoire, tant les affinités sont évidentes. Son amoureuse et son agente ont aussi eu le même sentiment.

«La vie dans les bars, la volonté d'intégrité absolue, les principes, le petit appartement complètement crade dans lequel tu te sens bien malgré tout, parce qu'il ne te coûte rien, la marginalité, tout ça, explique-t-il. Moi qui suis pas mal au fait du monde de la poésie, je ne connaissais pourtant pas Yves Boisvert, étrangement.»

«Avoir décroché le rôle a été une grande victoire pour moi, d'autant que j'ai su ensuite que plusieurs autres acteurs étaient aussi sur les rangs.»

En regardant des documents visuels pendant le processus d'audition, l'acteur s'est toutefois vite aperçu que physiquement, il ne ressemblait pas du tout au poète et que le phrasé de ce dernier était très particulier. Un soir, alors qu'il était en France, avant le rappel d'audition finale, Martin Dubreuil a failli tout abandonner, craignant de ne pouvoir être à la hauteur d'un personnage ayant déjà vécu, et dont le souvenir est encore vif chez les proches et les admirateurs.

«J'étais saoul et j'ai appelé mon agente de là-bas pour lui dire que je ne me présenterais pas au call back. Fort heureusement, elle n'était pas là. Pour me rassurer, j'ai cherché le signe astrologique de Boisvert et j'ai constaté que son signe était Balance, comme mon ascendant. Il m'arrive parfois d'écrire des descriptions de personnages comme une fiche astrologique. Je tiens ça de ma tante Ginette, une sorcière! Tout est utile!»

Une planche de salut

Celui qui se produit énergiquement sous le nom de Johnny Maldoror dans le groupe The Breastfeeders a trouvé dans le jeu une forme de planche de salut. Enfant, il s'est toujours identifié aux personnages des films qu'il voyait. Il fabriquait même des photoromans en écrivant des conversations pour les protagonistes avec des images qu'il faisait développer chez Jean Coutu. C'est pourtant à un ami trouvé dans la culture de la rue, plutôt qu'à la pharmacie, qu'il doit sa vocation.

«Cet ami anglophone, qui trouvait que je commençais à trop m'adoucir parce que je me tenais beaucoup avec des filles qui étudiaient la musique classique - et aussi parce que je n'avais plus le goût de donner des coups de pied dans des poubelles -, m'a invité chez lui et on a regardé Raging Bull. Dans mon esprit, il n'y a plus eu aucun doute. C'est ce que je voulais faire de ma vie. Je me suis sans doute identifié à Robert De Niro physiquement. J'ai aimé son intensité, son côté italien (que j'ai du côté d'un père que je n'ai pas connu), son côté enragé. Juste à penser à la scène où il engueule sa femme, son voisin et son chien, j'ai encore des frissons. Il faut dire qu'à cette époque-là, ma vie était pas mal rock and roll. On buvait dans la rue puis on cassait des affaires. Je me suis battu pas mal quand j'étais jeune...»

Père manquant, fils acteur

Dubreuil a grandi dans Rosemont auprès de sa mère, qui l'a élevé seule, des chums de cette dernière, pas toujours «des cadeaux», de tantes et d'une grand-mère, toutes bienveillantes. Autrement dit, le garçon a grandi entouré de femmes, en cherchant des modèles masculins dans les oeuvres de fiction. Le père absent, chanteur au sein d'un groupe yéyé des années 60 (Les Chantels), et un grand-père trompettiste ont sans doute fait en sorte que la musique est inscrite dans le code génétique de l'acteur, mais il s'agit pratiquement de la seule véritable trace héréditaire des hommes de la famille.

Quand il évoque les passages du film de Yan Giroux où le personnage que joue Henri Picard souffre de l'absence de son père, Martin Dubreuil doit s'arrêter un moment pour maîtriser l'émotion qui le submerge. Même à 46 ans, ce manque l'atteint encore au plus profond de lui-même. Le thème de l'absence paternelle remue forcément des choses chez ce père d'une fillette de 7 ans et d'une autre fille née tout récemment. «Je n'ai pas de modèle du tout. Et je sais qu'en tant que parent, on peut avoir tendance à recréer ce qu'on connaît. Je fais attention. Je veux être un bon père. Et ma blonde est là. C'est la femme de ma vie.»

Une soif d'intégrité

Martin Dubreuil compte maintenant une vingtaine d'années de métier. Pierre Falardeau lui a donné sa première chance en lui confiant le rôle du Père punk, Sti! dans Elvis Gratton 2. Sa gueule de rebelle attire vers lui les personnages sombres et ténébreux, parfois violents. Il est le prédateur sexuel que Claude Legault torture dans Les 7 jours du talion, de Daniel Grou. Dans un autre registre, il prête ses traits à Pierre Huet dans Gerry, le biopic d'Alain Desrochers. Il est aussi celui qui tombe amoureux d'une femme juive hassidique dans Félix et Meira, oeuvre réalisée par Maxime Giroux, un cinéaste dont il est de tous les films, y compris les courts métrages. D'ailleurs, Dubreuil a tellement fait sa marque dans le domaine du court métrage que le prix d'interprétation masculine attribué dans Prends ça court! porte son nom!

Même si l'époque où il répondait aux petites annonces publiées dans l'hebdomadaire Voir, où on demandait des comédiens pour des films étudiants, semble bien loin, l'acteur tient à se maintenir sur la corde raide. Il affiche d'ailleurs toujours un net penchant, franc et total, pour le cinéma d'auteur. Lui qui a joué dans près d'une centaine de films étudiants avant d'entamer véritablement sa carrière professionnelle a justement accepté tout récemment de tourner bénévolement dans un court métrage réalisé par un cinéaste en devenir.

«J'avais besoin de me tester, de voir si je pouvais m'éloigner de ma famille pendant quatre jours, sans cachet, pour le simple plaisir de jouer, sous la direction d'étudiants qui se trompent. J'ai adoré ça.»

«Quand je ne joue pas, je suis en manque, poursuit-il. Il est cependant important pour moi de choisir des rôles qui me parlent, que j'aime profondément, réalisés par des cinéastes de qui je veux tomber amoureux. Je m'aperçois qu'il serait plus facile qu'avant pour moi de me reposer sur mes lauriers. Je ne veux pas ça.»

Un conflit intérieur

Quand on lui demande si sa participation dans De père en flic 2 l'an dernier a provoqué chez lui un conflit intérieur, l'acteur ne prend pas de détours pour acquiescer. Cette expérience semble toutefois avoir été riche d'enseignements.

«C'est arrivé à un moment où je venais d'enchaîner plusieurs projets à la télévision et où il n'y avait pas encore d'offres de cinéma intéressantes en vue. J'ai aussi rarement fait des comédies. Cette proposition est alors arrivée, et j'estime que dans le genre, De père en flic est quand même respectable. Et puis, ma blonde avait adoré le premier. Donc, pourquoi pas? Mais, honnêtement, j'ai trouvé ça dur. Comme ma famille était encore installée à New York à l'époque, je me suis mal préparé. Je me suis même parfois planté devant toute cette grosse brochette d'acteurs. C'est un peu comme si mon côté marginal avait ressurgi. Je suis resté dans mon coin, peut-être aussi à cause du fait que mon personnage était aussi isolé dans l'histoire. Je ne regrette pas de l'avoir fait parce que l'expérience a quand même été le fun et j'ai fait de belles rencontres, mais disons que ç'a remis les pendules à l'heure. Ce n'est pas mon univers.»

Martin Dubreuil est la tête d'affiche du nouveau film de Maxime Giroux, La grande noirceur (à l'affiche le 25 janvier prochain). Il montera aussi sur les planches de l'Espace GO au printemps, alors qu'il sera de la distribution de Parce que la nuit, une exploration de la vie et de l'oeuvre littéraire et musicale de Patti Smith. Il y retrouvera en outre Céline Bonnier, sa partenaire dans À tous ceux qui ne me lisent pas.

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À tous ceux qui ne me lisent pas prendra l'affiche le 23 novembre.

Filmographie sélective

- 1999: Elvis Gratton 2 - Miracle à Memphis de Pierre Falardeau

- 2004: 15 février 1839 de Pierre Falardeau

- 2008: Demain de Maxime Giroux

- 2010:  Les 7 jours du talion de Daniel Grou

- 2010: 10 1/2 de Daniel Grou

- 2011: Gerry d'Alain Desrochers

- 2013: La chasse au Godard d'Abbittibbi d'Éric Morin

- 2014: Félix et Meira de Maxime Giroux

- 2016: Avant les rues de Chloé Leriche

- 2017: De père en flic 2 d'Émile Gaudreault

- 2019: La grande noirceur de Maxime Giroux

Photo fournie par Les Films Séville

Martin Dubreuil et Céline Bonnier dans À tous ceux qui ne me lisent pas de Yan Giroux