Même s'il faut remonter en 2004 pour en trouver la source d'inspiration, ce premier long métrage de fiction de Bachir Bensaddek ne pourrait être plus brûlant d'actualité.

À l'âge de 19 ans, Bachir Bensaddek, fils de diplomate algérien, s'est installé au Québec pour y faire ses études. Il est depuis l'un de nos concitoyens. Réalisateur de films documentaires, il propose aujourd'hui Montréal la blanche, un premier long métrage de fiction construit autour de la rencontre de deux Québécois d'origine algérienne qui entretiennent un rapport personnel différent avec leur «vie d'avant».

Kahina (Karina Aktouf) a été dans son pays d'origine une chanteuse extrêmement populaire. Elle s'est refait clandestinement une vie au Québec, non sans avoir auparavant fait faussement croire à sa mort auprès de son public. De son côté, Amokrane (Rabah Aït Ouyahia) est un chauffeur de taxi dont l'esprit est encore hanté par les drames qui ont touché les siens dans la demeure familiale.

«En 1992, la communauté algérienne ne comptait que 4000 personnes dans tout le Canada, précise le cinéaste. Une douzaine d'années plus tard, nous étions 10 fois plus. C'est dire à quel point la décennie noire, marquée par l'intégrisme et le terrorisme, fut tragique. Les gens étaient prêts à tout pour fuir le pays. Même si on leur expliquait que leurs diplômes ne seraient pas reconnus au Canada, les professionnels préféraient faire la sourde oreille, trop contents de pouvoir survivre à la terreur. Sauf qu'en arrivant ici, ils ont aussi dû faire face à une réalité qu'ils n'avaient pas envisagée. Des ingénieurs, des médecins, des gens qui occupaient une position enviable dans l'échelle sociale en Algérie ne pouvaient plus trouver de travail équivalent ici. Les réfugiés syriens rencontrent le même problème aujourd'hui.»

De la pièce au film

De ces drames est née en 2004 une «pièce documentaire» - intitulée Montréal la blanche - dans laquelle des immigrants prenaient la parole pour raconter leur parcours. À l'époque, Bachir Bensaddek avait fait les recherches et trouvé les participants, sans toutefois s'occuper de la mise en scène. Son travail relevait davantage de la préparation en amont et de l'écriture.

«Ce n'est qu'en assistant à la générale que j'ai eu tout un choc, explique-t-il. Ç'a été comme un coup de poing sur la gueule. À mes yeux, il fallait absolument que cette démarche emprunte aussi une forme cinématographique.»

Il aura fallu plusieurs années avant que le projet de film ne se concrétise enfin. Pendant tout ce temps, d'autres projets se sont enchaînés.

Bachir Bensaddek a aussi écrit plusieurs versions du scénario de Montréal la blanche. Il a peaufiné, dépouillé, concentré son écriture sur deux personnages en évoquant leur questionnement intime plutôt que leur statut social.

«C'est drôle, car j'ai quand même fait un gros travail de recherche et de caractérisation afin de rester le plus réaliste possible à propos de l'Algérie, dit-il. Or, je me suis tellement intéressé à l'intimité de ces personnages que, finalement, on se fout un peu du contexte. On s'intéresse davantage à ce qu'ils sont: un homme et une femme qui ont de la difficulté avec le passé tragique qu'ils ont vécu dans leur pays d'origine.»

Une grande pertinence

Par l'effet du hasard, Montréal la blanche s'inscrit aussi de façon brûlante dans l'actualité.

«Je serais hypocrite si je le niais, reconnaît le cinéaste. Quand j'ai présenté le film au festival de Rotterdam, j'ai fait remarquer à ce public d'Européens que si je remplaçais dans mon film le mot "algérien" par "syrien", le récit fonctionnerait de la même façon. Et puis, le simple fait que ces personnages viennent du Maghreb évoque déjà plusieurs choses dans l'esprit des gens.»

Depuis la présentation de la pièce en 2004 au Monument-National, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts au Québec. De la commission Bouchard-Taylor jusqu'à l'affaire du niqab, en passant par le débat sur la charte et la déstabilisation du contexte international, plusieurs événements ont fait en sorte que les esprits se sont parfois échauffés.

«Chaque fois qu'on évoquait la communauté musulmane dans les médias, on montrait l'image d'une femme voilée, rappelle Bachir Bensaddek. C'est presque devenu un crime par association. Je suis néanmoins conscient, poursuit-il, qu'un travail de sape a été fait par des intégristes qui ont imposé leur vision religieuse. Cela dit, comme bien des gens, je ne me sens pas du tout concerné parce que je ne pratique pas.»

Bachir Bensaddek est en tout cas heureux du film qu'il propose, malgré tous les doutes qui, bien sûr, ont jalonné le long processus créatif.

«Ce qui me réjouit, surtout, c'est d'avoir été entouré de gens de très grand talent qui, tous, se sont mis au service de ma vision de cinéaste. Grâce à eux, ce film ressemble à celui que j'imaginais.»

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Montréal la blanche prend l'affiche le 18 mars.

PHOTO FOURNIE PAR K FILMS AMÉRIQUE