Pour son troisième long métrage en carrière, le cinéaste Bruno Chiche s'est retrouvé à diriger plusieurs pointures du cinéma français, parmi lesquelles Gérard Depardieu et Niels Arestrup. Et tout s'est bien passé!                

La première fois qu'il a lu le roman Small World, de Martin Suter, le réalisateur Bruno Chiche a eu un véritable coup de foudre de lecteur, sans pour autant y trouver matière à adaptation filmique. Empruntant plusieurs pistes, le récit, très dense, pouvait difficilement faire l'objet d'un long métrage à ses yeux.

«Mais j'aime les portraits, a expliqué l'auteur-cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse, à Paris. Il se trouve qu'il y a dans ce roman un personnage formidable, dont j'avais envie de dessiner le portrait à l'écran. Je me suis alors concentré sur la deuxième partie du roman, qui s'attarde sur les conséquences de la perte de mémoire de ce personnage sur toute son histoire familiale. J'aimais particulièrement le paradoxe que décrit Suter dans son roman: plus cet homme perd la mémoire, plus il retrouve la vérité de sa propre vie.»

Cet homme, c'est Conrad. D'âge mûr, il vit depuis toujours aux crochets de la famille de son ami d'enfance Thomas, très aisée financièrement. Il garde notamment leur maison de vacances.

La situation se corse le jour où Conrad partage ses souvenirs d'enfance avec Simone (Alexandra Maria Lara), nouvelle femme du jeune héritier de la maison (Yannick Renier). Les confidences de Thomas se révèlent en effet bien différentes de l'histoire familiale «officielle», du moins celle que relaie la matriarche, maîtresse des lieux.

Je n'ai rien oublié propose la toute première rencontre cinématographique entre Gérard Depardieu (Conrad) et Niels Arestrup (Thomas).

Deux monstres sacrés

Autant dire deux monstres. Le premier est plutôt «imprévisible dans ses comportements» (pour reprendre l'expression utilisée dans les notes de production); le second est une bête de scène qui, depuis quelques années, se fait valoir au cinéma dans des rôles plus grands que nature. La composition d'Arestrup dans Un prophète (Jacques Audiard) a notamment marqué les esprits. Chiche a fait appel à Françoise Fabian pour incarner la matriarche, de même qu'à Nathalie Baye pour camper le rôle d'une femme déjà aimée par les deux hommes. Quatre pointures devant la caméra.

«Quand j'ai annoncé à un ami comédien que j'allais travailler avec Depardieu et Arestrup, il a cru que j'en avais marre de vivre! relate Bruno Chiche en riant. Il serait plus rigolo de vous raconter des histoires d'horreur, mais, dans les faits, tout s'est très bien passé avec eux. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas leur personnalité... Il est évident qu'avec ces immenses acteurs, il vaut mieux savoir où on va dès le départ, sinon ça peut se passer très mal. Or, ils m'ont fait confiance. C'est un grand privilège. Et ils étaient très heureux d'avoir l'occasion de jouer ensemble.»

Un mariage évident

Dès l'écriture du scénario, Bruno Chiche avait Gérard Depardieu à l'esprit. Au point où il aurait carrément renoncé au film si l'acteur n'avait pas accepté sa proposition.

«Le mariage entre Gérard et le personnage était d'un naturel évident, précise le cinéaste. Gérard s'abandonne facilement pour laisser resurgir sa part d'enfance. C'est ce qui arrive à Conrad. Face à lui, je souhaitais un acteur qui puisse lui donner le change. Niels en impose, mais je voulais aussi faire écho à un aspect de sa personnalité qu'on trouve plus rarement dans ses rôles: un humour très subtil, allié à un côté plus secret, plus pudique. Gérard me bouleverse et Niels me fascine.»

Bruno Chiche, dont l'amour du cinéma s'est exprimé très jeune lorsqu'il animait un ciné-club au lycée, a aussi voulu rendre hommage à une forme de cinéma plus classique. Il assume d'ailleurs parfaitement ses influences.

«J'aime le "beau" cinéma, dit-il. Les oeuvres de [James] Ivory, de Chabrol et de tant d'autres. C'est en voyant leurs films que j'ai eu envie d'en réaliser à mon tour. Avec Je n'ai rien oublié, j'ai souhaité faire un film de cinéma qui s'inscrit en dehors des modes.»

Actuellement à l'affiche.

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