Leur contribution au septième art est indispensable, et pourtant, la nature de leur métier représente un mystère aux yeux du grand public. Ils sont les travailleurs de l'ombre de l'industrie du cinéma. La Presse vous invite à découvrir quatre des personnalités anonymes qui garnissent les génériques des films québécois et d'ailleurs.

Elle est fort probablement la personnalité la plus influente dans le milieu du cinéma québécois dont vous ne connaissez pas le nom. Les acteurs et actrices, cependant, surtout ceux qui tentent de percer, la connaissent très bien. Ses décisions peuvent avoir des conséquences capitales sur l'avenir de leur carrière, rien de moins.

Directrice de casting associée à quelques-uns des films québécois les plus estimés et populaires des trois dernières décennies, Lucie Robitaille ne recherche qu'une chose lorsqu'elle examine les candidats désireux de l'impressionner: le frisson. «Tu ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose qui se passe dans la salle, un moment magique», explique Mme Robitaille en entrevue à La Presse dans le bureau qui porte son nom, près du marché Jean-Talon.

Nous nous trouvons dans la salle d'auditions, un lieu bien éclairé au décor plutôt épuré. «Il y a ici un moment de pureté au niveau du jeu: il n'y a pas d'accessoires, pas de costumes, et tout à coup, tu vois apparaître le personnage de l'histoire que tu as lue, et c'est extraordinaire», raconte Mme Robitaille.

Dans un coin se trouvent une caméra sur trépied, un moniteur, des fauteuils dans lesquels s'installent les juges, et dans l'autre... rien, ou presque. Un tapis avec des marques pour le positionnement des comédiens et, de manière plus manifeste, quoique impalpable, l'héritage de l'angoisse de centaines d'aspirants acteurs la tête remplie de rêves.

Le choix des acteurs - une lecture peut durer entre cinq minutes et une heure - est une des étapes les plus délicates et les plus accaparantes de la production d'un film. L'intensité de l'audition n'est pas qu'unidirectionnelle. «Il faut toujours être en ouverture, recevoir. Mais on reçoit le stress de tous les gens qu'on voit aussi», affirme Lucie Robitaille. Lorsqu'elle travaille en tandem avec les réalisateurs, ces derniers lui avouent qu'une journée d'auditions peut être plus épuisante qu'une journée de tournage.

Elle a dû apprendre à gérer le «trop-plein» d'émotions avec le temps. 

«Quand j'ai commencé dans ce métier, je me souviens qu'après de grosses journées de travail, je rentrais chez moi, je m'installais, je commençais à manger, et tout à coup j'éclatais en sanglots, apparemment sans raison.»

Avant de devenir une directrice de casting majeure - avant de travailler avec Denys Arcand, Denis Villeneuve, Philippe Falardeau ou Wim Wenders; et avant d'être invitée à devenir membre de l'Académie des Oscars -, Lucie Robitaille ne savait même pas qu'un tel métier existait. Sa soeur l'a mise en contact avec la pionnière de la profession au Québec, Andrée Champagne, qui, dans sa vie précédente, incarnait Donalda dans Les belles histoires des pays d'en haut. D'ailleurs, 30 ans après la fin de la diffusion du fameux téléroman, Lucie Robitaille allait travailler sur l'adaptation cinématographique du roman de Claude-Henri Grignon, Séraphin, un homme et son péché.

Ancienne graphiste de métier, Mme Robitaille aime dire qu'elle «dessine avec du vrai monde». Ses traits dépassent parfois judicieusement le canevas. Lors du casting du film de Robert Morin Les 4 soldats, la recherche du narrateur se heurtait à un mur. Pourquoi ne pas conjuguer le personnage au féminin? suggéra-t-elle. C'est ainsi qu'est entrée en scène Camille Mongeau, dans son premier rôle d'envergure dans un long métrage.

Se disant plus heureuse que jamais dans l'exercice de son métier, Lucie Robitaille insiste sur l'importance du travail d'équipe, sur la notion de cheminement partagé. «Je dis toujours: si je fais cinq castings du même film avec cinq réalisateurs différents, ça va être cinq castings différents. Ce que je dois avoir, c'est la vision du réalisateur. Je vais donc prendre ses yeux et son regard le temps du projet, tout en gardant ma sensibilité.»

Films notables

Brooklyn (2015) de John Crowley

Incendies (2010) de Denis Villeneuve

Maurice Richard (2005) de Charles Binamé

Les invasions barbares (2003) de Denys Arcand

Léolo (1992) de Jean-Claude Lauzon