(Los Angeles) Raccourcir la moue d’un acteur, oppresser le spectateur en enchaînant rapidement les plans, rythmer l’intrigue avec une ellipse : dans l’ombre des réalisateurs, les monteurs jouent un rôle capital pour donner vie à un film, qui s’avère crucial dans la course aux Oscars.

« Il ne peut pas y avoir de bon film avec un mauvais montage », explique à l’AFP Kevin Tent, qui a assisté Alexander Payne sur sa comédie Winter Break, honorée par cinq nominations.

Collaborateur privilégié du cinéaste depuis quasiment 30 ans, ce monteur compare son métier à celui d’un « chef cuisinier ».

Après le tournage, « vous obtenez tous ces différents éléments, et vous hachez les choses et les mélangez » pour trouver la meilleure alchimie dans l’agencement des images, résume-t-il. « Si vous mettez trop de sel, ce n’est pas bon, ou si vous mettez trop de sucre, cela ruine tout. »

La recette de Winter Break a emporté l’adhésion. Alexander Payne y signe un touchant conte de Noël sur la solitude de trois âmes en peine – un professeur d’histoire psychorigide, une cuisinière endeuillée et un adolescent fragile –, forcées de passer le réveillon ensemble dans un lycée américain huppé des années 1970.

Sélectionnée dans la catégorie meilleur montage, la comédie fait partie des rivaux importants du favori Oppenheimer pour l’Oscar du meilleur film. Car ces deux récompenses sont très corrélées à Hollywood.

Depuis près d’un siècle, seuls 11 longs métrages ont remporté la statuette du meilleur film sans être nommés pour le meilleur montage. Et 40 % des vainqueurs de la récompense suprême ont également raflé le trophée technique.

Complicité avec le réalisateur

Un palmarès qui souligne à quel point le montage constitue l’essence même du cinéma. Plus que le scénario ou le tournage, de grands réalisateurs comme Stanley Kubrick ou Orson Welles tenaient cette étape technique comme la clé de la fabrique d’un film.

« Les films se font dans la salle de montage », reprend M. Tent. « C’est là qu’on a vraiment le temps d’être créatif et de penser à ce qu’est le film. »

Le monteur a raffiné les images de Winter Break pendant près d’un an avec Alexander Payne.

De quoi permettre au duo de couper plus de 30 minutes par rapport à leur premier jet, et trouver le ton juste en testant les versions intermédiaires grâce à des projections en petit comité.

La comédie a notamment été saluée pour son usage subtil du fondu – un chevauchement d’images qui fait apparaître un plan progressivement pendant que le précédent s’estompe –, utilisé pour contempler l’évolution émotionnelle des personnages ou rendre palpable la langueur hivernale.

Ce travail nécessite une grande complicité entre réalisateur et monteur : de nombreux cinéastes ont un technicien attitré, qu’ils conservent de film en film.

PHOTO ANGELA WEISS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le réalisateur Martin Scorsese et sa monteuse Thelma Schoonmaker qui a travaillé sur Killers of the Flower Moon.

Reine du métier avec trois Oscars, la monteuse Thelma Schoonmaker suit ainsi Martin Scorsese depuis le début de sa carrière, il y a plus de 50 ans.

Nommée pour Killers of the Flower Moon – qui concourt lui aussi pour le meilleur film –, elle souligne régulièrement leur symbiose.

« Il m’a appris tout ce que je sais sur le montage », a-t-elle confié au site CineMontage en février. « Nous avons la même sensibilité. »

« Accoucheurs » du cinéma

PHOTO GEOFFROY VAN DER HASSELT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le monteur Laurent Sénéchal a épaulé la réalisatrice Justine Triet sur Anatomie d’une chute, autre prétendant au doublé meilleur film et meilleur montage.

Artisans du cinéma, les monteurs sont reconnus pour leur savoir-faire, sans pour autant développer une patte, car la vision du cinéaste prime.

« Le montage ne doit pas être visible, signé, c’est un métier d’adaptation », raconte à l’AFP Laurent Sénéchal, qui a épaulé Justine Triet sur Anatomie d’une chute, autre prétendant au doublé meilleur film et meilleur montage.

« On est comme des accoucheurs, on accompagne », ajoute celui qui a collaboré aux trois derniers films de la réalisatrice.

Pour ce thriller judiciaire, qui dissèque la dégringolade d’un couple à travers le procès d’une écrivaine accusée du meurtre de son mari, le montage a nécessité « 38 semaines », soit plus de huit mois. « Un luxe » dans le cinéma français, selon M. Sénéchal.

Ce temps a notamment permis au duo de peaufiner la désynchronisation son-image, primordiale pour l’ambiguïté du film.

Lorsque l’enfant du couple témoigne au tribunal, le spectateur découvre par exemple des images du mari, qui parle avec la voix de son fils : s’agit-il d’un passé vécu ou de souvenirs fabriqués ?

« Justine est complètement obsessionnelle », confie le technicien. Pour elle, « le montage est un des endroits les plus essentiels pour la mise en scène. »