Montréal fait désormais partie du trio de tête des incontournables de la production d’effets visuels et de l’animation dans le monde. Encore cette année, des studios d’ici ont vu leur travail souligné par de nombreuses sélections, que ce soit aux Oscars, aux Creative Emmy Awards, aux Saturn Awards ou aux Visual Effects Society Awards. Incursion chez les créateurs qui œuvrent dans cette industrie milliardaire.

Rodeo FX : dans l’antre de la bête

PHOTO FOURNIE PAR RODEO FX

Image tirée du film Gardiens de la Galaxie Vol. 3

En entrant chez Rodeo FX, on pénètre dans l’un des plus importants studios d’effets visuels au monde. C’est ici que sont nés le Démogorgon, le Mind Flayer et le redoutable Vecna de Stranger Things, l’impressionnant scorpion des sables de la troisième saison du Witcher, sans compter les séquences du mystérieux Étranger dans Les anneaux de pouvoir.

Pourtant, quand Sébastien Moreau a démarré son entreprise dans un sous-sol du Vieux-Montréal en 2006, Rodeo FX comptait trois employés, lui compris. Mais il arrivait avec un solide bagage acquis chez Industrial Light and Magic (ILM) – c’est au sein de la boîte fondée par George Lucas qu’il a fait connaissance avec son ancien associé Mathieu Raynault, parti fonder Raynault VFX en 2011. Les premiers projets de l’entreprise ont été réalisés pour des films et des séries québécois, mais aussi quelques productions sur lesquelles travaillait Industrial Light and Magic.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Sébastien Moreau, président-directeur général de Rodeo FX

« On a été chanceux parce qu’ILM nous a sous-contracté du travail sur certains films, dont Indiana Jones, se rappelle Sébastien Moreau. Ça nous a permis d’avoir de la visibilité et c’est comme ça qu’une autre compagnie nous a embauchés pour travailler sur Golden Compass, qui a gagné cette année-là [en 2008] l’Oscar des meilleurs effets visuels ! »

À partir de ce fait d’armes, Rodeo n’a pas cessé d’engranger les succès, si bien qu’il compte aujourd’hui 900 employés dans ses studios de Montréal, de Québec, de Toronto, de Los Angeles et de Paris. « Il y a plus de 2000 studios en tout dans le monde, mais environ une centaine qui travaillent sur les grosses productions hollywoodiennes, puis on évalue qu’on se place peut-être dans le top 15 présentement, explique M. Moreau. Notre but, c’est d’améliorer notre position de leadership dans l’industrie. Chaque fois, je suis vraiment épaté par la créativité et la technique de nos artistes. La qualité et la complexité de ce qu’on est capable de sortir s’élèvent chaque année. »

D’autant plus que Rodeo FX est devenue une espèce de magasin général de l’effet visuel, les producteurs et les réalisateurs pouvant désormais lui soumettre à peu près n’importe quoi comme idée. « On était connu pour nos environnements naturels, des villes et autres éléments du genre, se rappelle Patrick David, superviseur d’effets visuels chez Rodeo FX depuis 12 ans. Au cours des années, on a développé une spécialisation ; on fait maintenant des créatures, des personnages, des environnements et des simulations d’effets spéciaux comme du feu, de l’eau ou des explosions. »

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Sébastien Francœur, Patrick David et Ara Khanikian, superviseurs d’effets visuels chez Rodeo FX

Quand M. David énumère tous les départements impliqués dans les projets créatifs de Rodeo FX, on comprend mieux la complexité de la chose. Simplement pour créer une créature, six départements distincts sont nécessaires, certains entièrement voués à des éléments extrêmement nichés.

« Faire des créatures, ça prend des gens vraiment spécialisés qui comprennent comment la musculature se développe, comment les squelettes fonctionnent, comment toutes ces choses-là sont faites. Ça va jusqu’au mouvement de la fourrure des animaux », souligne Patrick David, qui vient de terminer de travailler sur Masters of the Air, un projet d’un tout autre ordre diffusé sur Apple TV+qui montre bien la polyvalence de Rodeo FX. « J’ai travaillé là-dessus pendant deux ans, dit-il. C’est une série produite par Steven Spielberg et Tom Hanks qui porte sur des pilotes pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est comme une suite des séries Band of Brothers et The Pacific. Comme c’est une histoire basée sur de vrais pilotes, il fallait être vraiment fidèle à tout ce qu’on créait. »

Son collègue Ara Khanikian, nommé aux récents Creative Emmy Awards pour son travail sur la série Les anneaux de pouvoir, a été confronté lui aussi à des défis d’authenticité, cette fois pour respecter l’immense héritage littéraire et cinématographique de l’œuvre de J. R. R. Tolkien. « Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson appartient à un autre studio. Il faut donc trouver le moyen de s’inspirer pour créer une nouvelle saveur, reconnaît celui qui était responsable de toutes les séquences qui mettent en scène l’Étranger et les Piévelus. C’est un énorme défi parce qu’il faut rendre hommage à l’univers qui est déjà écrit sans nécessairement le copier. »

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Les équipes de Rodeo FX travaillent toujours sur de 15 à 20 projets en parallèle, en excluant tout ce qui est publicité et autres domaines connexes.

600

C’est le nombre de plans d’effets visuels réalisés par Rodeo FX dans la série Les anneaux de pouvoir. C’est près de 53 minutes de temps d’écran.

Responsable de la création de plusieurs créatures dans The Witcher, Sébastien Francœur avait un peu moins de contraintes même si l’œuvre est elle aussi tirée d’un classique de la littérature fantastique, imaginé par le Polonais Andrzej Sapkowski. « Au départ, on nous fournit un dessin avec un modèle 3D qui le supporte, mais ça ne tient pas la route. Il faut donc vraiment comprendre l’esprit de la créature et la rendre exactement comme on la perçoit, explique-t-il. Ce qui est important, qu’il s’agisse d’une belle image photo réaliste ou stylisée, c’est que ça réponde à ce que l’histoire a besoin et puis qu’on dise ‟oui, j’y crois ». »

Rectificatif
Dans la version originale publiée dans La Presse+, le prénom du superviseur d’effets visuels Ara Khanikian a été écrit « Ari Khanikian ». Toutes nos excuses.

Qu’est-ce que Rodeo FX ?

Fondé en 2006, Rodeo FX compte aujourd’hui 900 employés à Montréal, à Québec, à Toronto, à Los Angeles et à Paris. Le studio dirigé par Sébastien Moreau a accumulé les succès au cours des dernières années avec des citations aux Creative Emmy Awards pour Le Seigneur des anneaux : les anneaux de pouvoir, The Witcher saison 3 et Stranger Things saison 4, alors que les films Gardiens de la Galaxie Vol. 3 et Mission : impossible – Bilan mortel, partie 1 sont en lice pour le prix des meilleurs effets visuels aux Oscars.

Raynault VFX : équipe de choc

IMAGE FOURNIE PAR RAYNAULT VFX

L’équipe de Sylvain Théroux, de Raynault VFX, a œuvré sur The Old Man, série diffusée sur FX qui a reçu une citation en 2023 aux Visual Effects Society Awards.

« On est un peu comme le SWAT Team, chaque personne ici est très, très performante dans ce qu’elle fait. »

C’est de cette façon que la productrice Valérie Clément décrit Raynault VFX, petit studio du boulevard Saint-Laurent qui peut s’enorgueillir d’avoir récemment travaillé sur des films et des séries aussi connues que Percy Jackson and the Olympians, Fantastic Beasts : The Secret of Dumbledore, Thor : Love and Thunder, All the Light We Cannot See, Jack Ryan, Citadel, The Old Man et Mandalorian. En fait, les créateurs font appel au studio fondé par Mathieu Raynault en 2011 quand vient le temps d’imaginer des scènes qui demandent la flexibilité que les grands studios peinent parfois à offrir.

« Les gros studios comme DNEG ou Framestore vont se charger de 1000 séquences à faire avec de l’animation, des explosions, tout ça, explique Sylvain Théroux, superviseur d’effets visuels. Nous, on trouve notre place dans de plus petits mandats, où il peut y avoir juste une centaine de shots, mais ce sont des trucs bien plus spécifiques, plus à la carte. »

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Valérie Clément, Sylvain Théroux et Éric Hamel

« En lisant le script d’une production, quand il y a seulement une ou deux pages qui parlent d’un environnement précis, c’est parfait pour nous », ajoute Valérie Clément. Son collègue Éric Hamel, mat painter et direction artistique, est bien placé pour comprendre les forces de Raynault VFX, lui qui a notamment travaillé chez Industrial Light and Magic en Californie et Weta Digital en Nouvelle-Zélande. « Dans les grosses compagnies, chaque employé fait juste un truc, soutient-il. Se limiter à faire quelques séquences serait tellement long et complexe à passer dans toute leur chaîne de montage alors que nous, on est spécialisé là-dedans. »

Quelques réalisations de Raynault VFX

Bien que la petite équipe soit en mesure de faire à peu près n’importe quoi, elle est davantage connue pour imaginer des environnements, comme en fait foi le slogan de l’entreprise : « On crée des mondes ». « On a deux grands défis à relever quand on reçoit des mandats, dit Sylvain Théroux. On veut que ce soit cool, spectaculaire, mais aussi que ce soit nouveau, on veut toujours trouver de nouvelles twists. Et il faut que ça ait l’air vrai, même si c’est un truc complètement fantastique qui se passe sur une autre planète. »

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Sylvain Théroux

Pour ce faire, Raynault VFX compte notamment sur les services de Yanick Dussault, directeur artistique établi à Los Angeles. « Il a été très longtemps chez ILM, il a travaillé sur Star Wars notamment, explique M. Théroux. Il a un poste clé parce qu’il fait la recherche initiale, il travaille à traduire les idées du client en images. » Raynault VFX peut ainsi s’impliquer avant même le tournage, discuter dès lors avec le réalisateur et le superviseur d’effets visuels. « Dans Watchmen, on voulait être à l’intérieur d’un vaisseau spatial extraterrestre, le réalisateur cherchait quelque chose d’inédit. On a pu faire plein de concepts en préproduction, après quoi ils ont construit des décors partiels en studio qui matchaient les concepts. Puis après, c’est revenu à nous pour finaliser le tout. »

Si, au départ, les dirigeants de Raynault VFX ont utilisé leurs contacts pour agir en tant que sous-traitants de grands studios, la petite boîte traite désormais d’égal à égal avec les ténors de l’industrie. Ils travaillent ainsi bon an, mal an sur cinq ou six grosses productions – ils finalisent actuellement les dernières scènes de Percy Jackson and the Olympians, nouvelle série de Disney+qui se veut un redémarrage au petit écran de l’univers de l’auteur Rick Riordan, celles de la deuxième saison de Citadel, des frères Russo, mais aussi sur de gros projets signés Marvel et Apple qui sont encore secrets. « Il n’y a presque pas de petites compagnies comme nous qui a accès à du ‟AAA », nous dit Éric Hamel. Et quand tu as accès à ces projets-là, la pression est forte de grossir la compagnie. L’appât du gain est souvent irrésistible. »

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Raynault VFX, qui a travaillé sur le film Rogue One, a hérité de quelques accessoires du tournage, dont le casque d’un pilote rebelle.

Mais Raynault VFX tient à son modèle, qui compte notamment sur une proportion d’employés senior inédite dans l’industrie ainsi qu’un taux de rétention de plus de 90 %. « On a maintenant le luxe de choisir nos projets, de choisir avec qui on travaille, soutient Valérie Clément. On a choisi de ne pas diluer le talent en devant recruter plein de monde dans l’équipe, on veut compter sur des gens avec qui on a envie de travailler. »

Qu’est-ce que Raynault VFX ?

Spécialisé dans la conception d’environnements numériques, Raynault VFX a été fondé en 2011 par Mathieu Raynault, qui avait participé au lancement de Rodeo FX cinq ans auparavant. C’est dans le studio du Mile End que les quelque 50 employés polyvalents de Raynault VFX ont notamment travaillé sur Invasion, saison 2, Fantastic Beasts : The Secrets of Dumbledore, Death on the Nile et The Old Man, tous nommés récemment aux Visual Effects Society Awards, considérés selon plusieurs comme les Oscars dans le milieu des effets visuels et de l’animation.

Écosystème parfait

PHOTO FOURNIE PAR RODEO FX

Image tirée de Stranger Things, saison 4, diffusé sur Netflix

Favorisée par un généreux programme de subventions et des écoles de renom, l’industrie des effets visuels a le vent dans les voiles au Québec, même si elle a ressenti les contrecoups de la récente grève des scénaristes qui a paralysé les studios de Hollywood pendant plusieurs mois en 2023. Coup d’œil.

Je pense que le Québec est reconnu comme étant un champion de la créativité numérique, en effets visuels, mais aussi quand on regarde du côté des jeux vidéo ou des expériences immersives. C’est un écosystème où tout le monde travaille ensemble.

Christine Maestracci, présidente-directrice générale du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ)

PHOTO FOURNIE PAR RODEO FX

Les équipes de Rodeo FX ont participé à la création des effets visuels de Mission : Impossible – Bilan mortel, partie 1 et de Guardians of the Galaxy Vol. 3, tout deux finalistes pour les Oscars dans la catégorie des meilleurs effets visuels.

50

Il y a 50 studios d’effets visuels au Québec

8500 employés

Parmi les 55 000 employés de l’industrie du cinéma et de la télé au Québec, la moitié s’affaire aux productions québécoises, alors que l’autre moitié travaille en production internationale. C’est donc près du tiers des artisans d’ici qui travaillent sur des films et séries internationales en effets visuels et animation.

IMAGE FOURNIE PAR RAYNAULT VFX

Thor : Love and Thunder a profité de l’expertise des artisans de Raynault VFX.

87 000 $

Salaire médian dans l’industrie

Le talent appelle le talent, et quand on veut travailler dans cette industrie-là, on veut travailler avec les meilleurs. C’est sûr que ça emballe les gens de pouvoir travailler sur la bête de Stranger Things !

Christine Maestracci, présidente-directrice générale du BCTQ

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La contribution de Rodeo FX aux saisissants effets visuels de la quatrième saison de Stranger Things a été soulignée à grands traits par les producteurs de la populaire série de Netflix.

150

C’est le nombre de projets réalisés par les studios québécois en 2022

1069 milliard de dollars

C’est le volume d’affaires enregistré par les studios d’effets visuels et d’animation au Québec en 2022.

Cet écosystème-là, on l’a créé grâce à nos écoles de calibre international où on a non seulement mis en lumière les artisans canadien et québécois, mais on a aussi attiré des talents internationaux qui se sont joints aux équipes ici au Québec. Ça crée un maillage, puis un tissage extrêmement riche avec ces gens qui proviennent de l’étranger avec leur propre expérience. L’écosystème québécois devient encore plus fort et encore plus attirant, il se crée donc comme un effet boule de neige.

Christine Maestracci, présidente-directrice générale du BCTQ