(Los Angeles) Denis Villeneuve n’a pas l’impression d’être revenu sur la planète désertique Arrakis pour le deuxième volet de Dune. Dans son esprit, il ne l’a jamais quittée.

La suite de Dune, qui sort dans les salles nord-américaines le 1er mars, constitue le point culminant d’un parcours cinématographique de six ans, mais précédé de 40 ans d’un désir intense de se frotter à l’œuvre romanesque. Et c’est un chapitre « dunesque » que Christopher Nolan a déjà comparé à The Empire Strikes Back.

Transposer pour le grand écran la saga de Frank Herbert constitue un exploit qui a dérouté et abattu certains des plus grands, dont David Lean, Alejandro Jodorowsky et David Lynch — le seul à avoir réellement pu en tirer un film. Mais sa réalisation de 1984 fut un tel fiasco que les deux suites envisagées furent rapidement abandonnées.

Denis Villeneuve a finalement obtenu sa chance, mais pendant l’une des périodes les plus troublées de l’histoire d’Hollywood — deux sorties retardées (l’une à cause de la pandémie, l’autre à cause des grèves), l’apparition de la diffusion en continu et aucune garantie qu’il y aurait une « deuxième partie ».

PHOTO MARCO UGARTE, ASSOCIATED PRESS

De gauche à droite : Denis Villeneuve, Florence Pugh, Zendaya, Timothée Chalamet, Josh Brolin et Austin Butler posent lors d’un évènement promotionnel à Mexico, le 6 février.

« Les conditions n’auraient pas pu être pires pour la sortie de la première partie », a admis le réalisateur québécois dans une récente entrevue à l’Associated Press. « Et pourtant, le film a fait des recettes décentes. »

Même pendant une période initiale de flottement et d’incertitude sur la suite des choses, Villeneuve n’a jamais cessé de travailler sur le scénario d’une deuxième partie, sachant que s’il obtenait le feu vert, il voulait être prêt à s’y mettre rapidement.

Au moment où son directeur photo Greig Fraser remportait l’Oscar pour Dune, les deux créateurs étaient déjà en pleine préproduction pour la suite. Et tout le monde fut bientôt de retour à Budapest, en juillet, pour le tournage. Mais même s’ils avaient conquis le désert dans la « première partie », de nouveaux défis les attendaient.

« Au début, nous nous sommes tous lancés dans ce projet en étant confiants, a déclaré Villeneuve. Et cette confiance s’est rapidement érodée. » C’est que Dune : Part Two aura été beaucoup plus difficile à tourner, techniquement, avec au moins sept séquences d’action majeures, contre deux dans le premier volet.

Plus d’action que dans le premier

L’intrigue reprend avec Paul Atréides (Timothée Chalamet) après l’attaque calculée et dévastatrice d’une maison rivale contre sa famille et ses partisans, qui venaient de prendre le contrôle de la planète désertique Arrakis, riche en minéraux. Son père étant mort, Paul et sa mère Jessica (Rebecca Ferguson) se retirent dans le désert, où ils concluent une alliance ténue avec les Autochtones d’Arrakis connus sous le nom de « Fremen » (notamment l’actrice Zendaya). Paul s’entraîne pour combattre à leurs côtés contre les envahisseurs Harkonnen.

Parmi les défis de Villeneuve : filmer Chalamet « surfant » sur un ver des sables d’une manière enlevante, sans paraître ridicule. Le réalisateur a dû trouver comment traduire ce qu’il avait imaginé en mots qui auraient du sens pour tous les artisans qui travaillaient pour y parvenir, sous un soleil tapant.

Mais aucun de ces stress ne semble avoir troublé l’atmosphère sur les plateaux de la vallée jordanienne du Wadi Rum, de Budapest ou d’Abou Dabi. En fait, selon Chalamet, c’était plutôt le contraire : Villeneuve semblait vraiment s’amuser.

« Denis est tellement joueur. C’est pour moi la plus grande preuve de confiance en soi », a déclaré le jeune acteur. « C’est en fin de compte un exercice ludique et créatif que de pouvoir réaliser un film. Celui qui se prend trop au sérieux est plus concentré sur les gens qui l’entourent, sur le public, que sur le produit lui-même, qui empestera la prétention. »

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Timothée Chalamet et Denis Villeneuve sur le plateau de Dune : Part Two

Josh Brolin, qui a maintenant travaillé avec Villeneuve sur trois films, après Sicario et les deux Dune, où il incarne le guerrier atréides Gurney Halleck, a déclaré qu’il fallait une personnalité unique pour être un grand cinéaste, et que Villeneuve était de cette trempe, avec les frères Coen, dans sa capacité à bien faire les choses.

« Les grands cinéastes avec lesquels j’ai eu la chance de pouvoir travailler sont des marginaux. Ce sont de vrais marginaux. Ce ne sont pas des gens cool. Ils sont socialement totalement inadaptés, a déclaré Brolin. Et ils ont trouvé ce médium pour pouvoir travailler, [où] ils peuvent s’exprimer de manière sauvage et spécifique. Et que se passe-t-il dans leur tête dont nous n’avons jamais été au courant ? Maintenant, nous pouvons en faire l’expérience. »

Sorties reportées

Denis Villeneuve s’est presque habitué aux sorties retardées — et chaque fois ses films en ont bénéficié. La première de Dune a été reportée de près d’un an à cause de la pandémie, ce qui lui a permis de peaufiner son film. Cette fois, il a dû faire quelque chose de différent : réaliser un transfert de film afin qu’il puisse être projeté en formats IMAX 70 mm et 70 mm, même s’il a été tourné en numérique. « C’est l’expérience visuelle ultime et le format ultime », estime Villeneuve.

Dune : Part Two, qui a coûté 122 millions US à produire, arrive en salles à point nommé. Le marché est un peu plus dégagé que d’habitude en raison des impacts résiduels des grèves à Hollywood l’année dernière, et c’est aussi un écosystème cinéma dans lequel les superhéros ne sont plus les « piliers » fidèles qu’ils étaient jadis.

Mais Dune représente un tout autre type de « franchise ». Le premier a rapporté un peu plus de 400 millions, même s’il est simultanément sorti en salles et sur la plateforme numérique Max (à l’époque HBOMax).

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Timothée Chalamet et Zendaya dans une scène de Dune : Part Two

Et Villeneuve a encore plus d’espoir cette fois-ci. Après tout, l’appétit du public pour le grand écran est plus fort qu’il ne l’était fin 2021, au sortir de la pandémie. Il croit également que la deuxième partie est à la fois plus divertissante et qu’elle peut être appréciée sans avoir vu la première.

« La première partie était plus méditative, admet-il. Nous suivions un garçon qui découvrait une culture. Maintenant, nous sommes avec le garçon qui venge son père et tombe amoureux. Et c’est plutôt un film d’action. »

Villeneuve sait que la deuxième partie « a une âme » aussi, mais il n’est pas tout à fait prêt à prendre du recul et à en profiter comme le garçon de 13 ans qui en rêvait jadis.

Le réalisateur québécois laisse par ailleurs la porte ouverte pour la suite des choses. Frank Herbert a continué à écrire des livres, après tout. Mais pour l’instant, il va prendre du recul et laisser Dune respirer un peu. Il regarde ses films dans une perspective macro, d’une manière qui pourrait assurer l’avenir du média qu’il aime tant.

« Ce que j’ai essayé de faire avec mes trois derniers films [DuneBlade Runner 2049 et Arrival], c’est de mettre en avant cette idée d’évènement cinéma et de grande échelle. Je pense que c’est ainsi que les films vont survivre. »