Vous en connaissez sûrement. Elles ont de 15 à 18 ans. Et elles sont branchées continuellement. Sur Instagram, TikTok ou Periscope, elles sont partout. Tout le temps. Mais pourquoi diable, au fait ? Qu’est-ce qu’elles cherchent, et qu’est-ce qu’elles trouvent ?

Jouvencelles, premier long métrage documentaire signé Fanie Pelletier, présenté ce vendredi en compétition aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (volet Nouveaux Regards, réservé à la relève), propose une immersion unique, étourdissante, quoique puissante, dans l’univers archi-connecté des adolescentes.

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Jouvencelles propose une immersion unique dans l’univers archi-connecté des adolescentes.

Déjà vu ? Détrompez-vous : voici 84 minutes de lives, conversations codées, likées ou bloquées, comme si vous y étiez. Oui, par moments, c’est épuisant. Sauf qu’elles sont attachantes, ces jeunes filles dont on ne sait rien, et dont on finit par tout savoir : « parce que, LOL », « un jour, je vais tomber in love », « t’es dead », « je suis abrosexuelle » (googlez, nous non plus, nous n’avions jamais entendu ce mot).

Elles n’ont pas de filtre (dans le texte, mais beaucoup dans l’image). Et elles se révèlent aussi sans fard : au sujet de leur identité (« je pense que je suis dans le spectrum aromantique »), leur image (« t’as le contrôle de ta représentation ») et leur estime (« je suis à un point où je suis fière de qui je suis »), insécures et décomplexées à la fois.

Si t’es pas content avec ça, va te faire foutre !

Citation tirée du documentaire Jouvencelles, de Fanie Pelletier

Leurs réflexions servent de narration à un film (en salle cet hiver) qui n’en a pas. Et c’est voulu. Parce que ce sont elles, ces jouvencelles, donc, qui portent l’image et la voix de tout ce qu’on voit.

« Je voulais qu’on dépasse l’image stéréotypée qu’on a des adolescentes », explique la réalisatrice, qui attend elle-même une fille (« c’est spécial ! »), en entrevue. « On a tous trouvé pénible notre adolescence, et j’ai l’impression que les filles, on a l’adolescence plus difficile que les jeunes garçons. Qu’est-ce qu’aurait été mon adolescence à l’ère des réseaux sociaux ? »

Une grande question, à l’origine de son film, donc, sur lequel elle planche depuis cinq ans, un sujet creusé en profondeur, quoique avec une certaine pudeur, et toutes les nuances qui s’imposent.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Fanie Pelletier, réalisatrice

Ce n’est pas un film qui juge : oh mon Dieu, les jeunes et leurs cells. Ah mon Dieu, elle s’expose ! On explore vraiment la construction de leur identité tortueuse, complexe, avec une couche de représentation que nous, on n’avait pas.

Fanie Pelletier, réalisatrice

Les jeunes filles (trois groupes d’amies, dénichées sur Instagram) se livrent ici pêle-mêle à la caméra, dans un film que Fanie Pelletier a volontairement tourné à la Pierre Perrault, « à la cinéma direct ». « Je les amène dans un parc, illustre la réalisatrice, je les laisse aller, puis je rebondis. […] Et elles sont tellement à l’aise devant la caméra, parce qu’elles sont tout le temps devant une caméra ! » Le documentaire a d’ailleurs par moments des airs de fiction, tellement le naturel est au rendez-vous.

C’est qu’elles sont aussi visiblement à l’aise de se confier (plus facile devant des étrangers que des proches, diront-elles). Vous pensiez qu’on était ici dans la légèreté ? Tout le contraire. Identité sexuelle, orientation, image corporelle, même leurs troubles de santé mentale, tout y passe. D’entrée de jeu. Et sans filtre, on l’a dit. Et non, ce n’est pas toujours beau. Encore moins gai. Fanie Pelletier a d’ailleurs été littéralement « bouleversée » d’apprendre que plus de la moitié de ses filles souffraient (souvent en cachette, à l’insu de leurs amies, même leurs sœurs) de troubles alimentaires. Or, si elles s’exposent ainsi sur les réseaux sociaux, si elles s’affichent, et oui, souvent, se dénudent (au sens propre comme au figuré), finit-on par comprendre, ce n’est pas tant pour séduire que pour s’accepter.

C’est qu’elles se cherchent et s’assument, se blessent, puis s’affirment. Tout cela à la fois. C’est plein de contradictions, et c’est très bien comme ça.

« Je comprends le bien que ça peut leur faire, conclut aussi la réalisatrice. Et elles sont extrêmement lucides et conscientes de leurs contradictions. […] J’ai à la fois plein de compassion pour ce qu’elles vivent, des inquiétudes […] et une immense confiance. […] Elles sont très fragiles, oui, mais très solides en même temps. »

Jouvencelles est présenté au Quartier Latin, ce vendredi à 18 h, et au Cinéma du Musée, le 24 novembre à 20 h 45.

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