De passage au Québec pour accompagner la sortie de Coupez !, une comédie campée dans le monde du cinéma de genre, Michel Hazanavicius poursuit sa démarche éclectique en toute liberté, en s’amusant dans tous les styles. Entretien.

Dans pratiquement toutes les séances de Coupez ! auxquelles il a assisté, Michel Hazanavicius a constaté qu’inévitablement, certains spectateurs sortaient de la salle au bout de 20 minutes. Ignorant probablement la structure d’un film qui commence comme un film de zombies fauché pour ensuite volontairement virer du pire au meilleur, ces gens ont sans doute souhaité mettre fin à un supplice qui, pensaient-ils, allait durer deux heures.

« Je ne pouvais pas trop tomber dans le pastiche au départ afin que les deux autres parties du récit fonctionnent », fait remarquer celui à qui l’on doit notamment les deux premières aventures cinématographiques de l’impayable OSS 117 du XXIe siècle. « Si j’avais vraiment voulu faire une parodie, j’aurais fait un spectacle marrant plutôt que d’y mettre seulement des trucs décalés et étranges. Mais il ne fallait pas. Ces gens sont en train de fabriquer un film où ça ne se passe vraiment pas bien. »

Inspiré d’un film japonais

Cette première partie dure une trentaine de minutes. On y voit un film gore constitué d’un long plan séquence dont le tournage est diffusé en direct sur un site spécialisé. Mettant en vedette Romain Duris, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois et Finnegan Oldfield, Coupez ! est le remake de Ne coupez pas !, un long métrage japonais de Shin’ichirô Ueda, devenu culte, que Michel Hazanavicius a vu à la suggestion du producteur Vincent Maraval. Pour un cinéaste qui aime traiter de cinéma, de La classe américaine au Redoutable en passant bien sûr par The Artist, l’idée de s’immiscer dans les coulisses d’un tournage foireux était d’emblée séduisante.

« Le regard est cette fois-ci davantage posé sur ceux qui fabriquent le cinéma », souligne le cinéaste.

Dans cette histoire, on s’intéresse plus à l’effort qu’au résultat, à vrai dire. On commence en étant très critique de ce que l’on voit pour ensuite observer les étapes de préparation et d’exécution. Quand on passe de l’autre côté du miroir, on commence à avoir de l’empathie pour les gens.

Michel Hazanavicius

L’adage selon lequel un mauvais film requiert autant d’efforts qu’un bon dépasse ici le simple stade du cliché. Dessinant d’abord son plan séquence en scénarimage, le cinéaste a répété la longue scène ratée pendant cinq semaines avec les (nombreux) acteurs et tous les membres de l’équipe technique.

« L’hippodrome désaffecté dans lequel nous avons tourné nous a servi de terrain de jeu, explique le cinéaste. Les répétitions étaient extrêmement cadrées, au-delà de ce qu’on peut faire au théâtre parce que tout doit aussi se faire en harmonie avec les techniciens. Nous avons tourné ce plan pendant quatre jours, au moins une douzaine de fois dans son intégralité. »

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Finnegan Oldfield, Bérénice Bejo et Matilda Lutz dans Coupez !, un film de Michel Hazanavicius

Habitué du Festival de Cannes, Michel Hazanavicius a été ravi d’avoir l’honneur d’ouvrir cette année la prestigieuse manifestation avec son plus récent long métrage.

« L’atmosphère était déjà très joyeuse, car le festival se déroulait dans des conditions normales pour la première fois depuis deux ans. J’étais hyper content que Thierry Frémaux [le délégué général du Festival de Cannes] nous choisisse parce que Coupez ! est dédié – en toute tendresse – aux gens qui font du cinéma. On a beau être ridicules, dérisoires, parfois même abrutis, on reste, d’une certaine manière, assez héroïques de mettre toute cette énergie, cette foi, au service du divertissement. Fabriquer un film, c’est toujours une grande aventure. »

PHOTO VIANNEY LE CAER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Matilda Lutz, Romain Duris, Finnegan Oldfield, Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo à la montée des marches du Festival de Cannes. Coupez ! a été présenté lors de la soirée d’ouverture.

Un Oscar ne change pas le monde…

Il y a déjà 10 ans, Michel Hazanavicius faisait par ailleurs son entrée dans le club très sélect des cinéastes étrangers ayant obtenu l’Oscar de la meilleure réalisation. Grâce à The Artist, qui a raflé cinq statuettes dorées à Hollywood en 2012 (dont celles attribuées au meilleur film de l’année et au meilleur acteur – Jean Dujardin), le cinéaste a vécu une « très belle histoire surréaliste ».

Pour un cinéaste français, participer à cette compétition est totalement improbable. Je ne dis pas non à un projet américain, on m’en a d’ailleurs offert d’intéressants, mais le bonheur que j’ai chez moi – et la liberté dont je dispose – n’a pas été surclassé encore par une envie de travailler en Amérique.

Michel Hazanavicius

« Un cinéaste comme Denis Villeneuve, extraordinaire metteur en scène, est tout à fait à sa place à Hollywood parce que le genre de films qu’il réalise ne pourrait être produit ailleurs. Pour lui, c’est tout à fait logique et naturel. Mais ça ne peut pas l’être de la même façon pour moi. Un projet qu’on me confierait aux États-Unis aurait forcément un côté exotique à l’arrivée ! »

Toujours aussi éclectique, Michel Hazanavicius proposera bientôt son premier long métrage d’animation. Il porte en effet à l’écran La plus précieuse des marchandises, un conte de Jean-Claude Grumberg ayant pour cadre la Seconde Guerre mondiale en Pologne.

« Jamais de ma vie je n’aurais pu tourner des scènes dans des camps de façon réaliste avec des acteurs. Certains cinéastes le font très bien, mais dans ce cas-ci, j’ai le sentiment que l’animation protège un peu de l’indécence, d’autant qu’il s’agit vraiment d’une très belle histoire. »

Coupez ! prendra l’affiche le 21 octobre.